Pino Cacucci, Rebelles !

Redres­ser la tête et s’opposer à ce qui contraint est un des gestes les plus uni­ver­sels, qu’il s’accomplisse au nom d’un seul ou d’une com­mu­nauté entière

A ceux qui ont dit “non”

Rebelle : avec “liberté” il n’est sans doute pas de mot qui fas­cine davan­tage — ils sont d’ailleurs liés au point de ne pou­voir se conce­voir l’un sans l’autre : se rebel­ler, c’est pré­tendre à sa liberté. Et on a tous des chaînes à bri­ser, quelle que soit leur taille, leur ori­gine. Redres­ser la tête et oppo­ser sa volonté à ce qui contraint est un des gestes les plus uni­ver­sels, qu’il s’accomplisse au nom d’un seul ou d’une com­mu­nauté entière. C’est un geste humain, et c’est à cette dimension-là de la rébel­lion que Pino Cacucci rend hom­mage — plus exac­te­ment à quelques uns de ceux qui l’ont incar­née au fil des siècles, dont cer­tains occupent encore une place de choix dans notre mémoire col­lec­tive. L’on côtoie ainsi des proches du Che, de viru­lents anti­fas­cistes et des Indiens qui ont défendu leur peuple face aux Espa­gnols ; le dos­sier Sacco et Van­zetti est rou­vert pour en sou­li­gner à nou­veau les inco­hé­rences ; on sou­rit, aussi, à l’évocation des exploits de d’Alexandre-Marius Jacob, qui ins­pira à Mau­rice Leblanc le per­son­nage d’Arsène Lupin, et c’est l’écorché vif Jim Mor­ri­son qui clôt le livre — lui qui avait tant l’habitude de fran­chir les portes. Autant d’hommes et de femmes rame­nés à la vie, à leurs enga­ge­ments les plus pro­fonds par treize récits d’une incroyable den­sité. Usant d’un style direct, aride et riche à la fois tant les phrases semblent ten­dues à l’extrême — une écri­ture dont le tour jour­na­lis­tique est accru par l’emploi quasi sys­té­ma­tique du pré­sent de l’indicatif — l’auteur raconte les com­bats, retrace les bio­gra­phies, rap­porte des anec­dotes… il fait acte de reportage.

Ces textes sont comme des cro­quis pris sur le vif ; certes par­tiaux et sub­jec­tifs — mais bel et bien reven­di­qués comme tels. C’est jus­te­ment pour cela qu’ils vont au-delà du réqui­si­toire contre l’oppression ou de l’apologie de la révolte : c’est de chair et d’âme qu’ils parlent. Par le biais de ces récits vivants et denses où l’on vibre au rythme des luttes et des actions d’éclat menées sous l’impulsion de la foi révo­lu­tion­naire, Pino Cacucci a sur­tout voulu pro­po­ser son petit pan­théon per­son­nel d’utopistes géné­reux. Il n’en reste pas moins que ces treize por­traits — concis, épu­rés de tout pathos super­flu — accom­plissent un remar­quable devoir de mémoire. D’abord à l’égard de figures peu ou pas connues du grand public, mais aussi en évo­quant la célèbre affaire Sacco et Van­zetti ou bien une icône comme Jim Mor­ri­son : l’auteur a un tel talent pour aller à l’essentiel que l’on a l’impression, en quelques pages, de mesu­rer au mil­li­mètre près l’ampleur de l’injustice com­mise envers les anar­chistes ita­liens ou la pro­fon­deur des déchi­re­ments inté­rieurs du poète chan­teur. En treize temps, Pino Cacucci ranime des sil­houettes vola­tiles — de ces fan­tômes qu’il importe de gar­der vivants parce que sans les échos de leurs cris et de leurs chants, l’humanité ne pour­rait plus trop long­temps se regar­der en face.

isa­belle roche

   
 

Pino Cacucci, Rebelles ! (tra­duit de l’italien par Benito Mer­lino), Chris­tian Bour­gois, 2003, 266 p. 22 €.

 
   

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