Martine Courtois enchante par le corpus de contes qu’elle propose et qui mettent en scène l’ogre et ses préférences culinaires. Le tout précédé d’un essai sur les stéréotypes liés à ce personnage” merveilleux”. Car l’ogre est un personnage archétypal qui se retrouve dans la plupart des cultures, mais principalement en Occident.
Il peut glisser sous des formes adjacentes : croque-mitaine, ogresse, monstre géant dévorant. Mais il jaillit sans doute du fond des âges avec le Cronos grec (Temps) qui dévore ses propres enfants…
Cannibale plus que carnivore, il est généralement barbu, velu, tignasse rouge, bouche immense, mâchoire forte, mains impressionnantes, silhouette gigantesque, trapue. Il possède un odorat très développé, pontifie de son “ça sent la chair fraîche !” et possède un énorme appétit pour les petits enfants et parfois les jeunes filles.
Il apparaît en France — sortant de la tradition orale et populaire — avec Charles Perrault dans le conte littéraire au XVIIe siècle. Le public adulte apprécie ces contes de fées à l’envers avant qu’ils ne soient réservés à un public d’enfants.
Mais, avant, le géant Gargantua de Rabelais qui mangeait des moutons entiers en dès le XVIe siècle reste une sorte d’amorce du personnage.
Il traverse donc l’histoire littéraire — surtout enfantine — mais le roman contemporain lui redonne aujourd’hui un regain d’actualité au mythe de l’ogre avec Le Roi des Aulnes de Michel Tournier, L’Ogre de Jacques Chessex, l’excellent mais moins connu La Maison des Marmousets de Claude Louis-Combet ou encore Les Ogres anonymes de Pascal Bruckner.
S’invente dans cette littérature une séparation avec la réalité même s’il existe dans de telles oeuvres un tropisme premier de la malédiction qui peut frapper les hommes. Ils lisent cette histoire dans une sorte de purgation de leur peur. D’autant que demeure, comme le rappelle l’auteure, une allégresse entre variations et détournements.
Martine Courtois illustre comment l’archétype se construit dans la durée, à travers une constellation de permanence et écarts. Elle propose LE livre de telles créatures terrifiantes, méchantes, sans pitié mais souvent bêtes et bornées. Certains ogres sont célibataires, d’autres mariés (mais leur épouse n’est pas forcément ogresse ) et ils peuvent parfois être pères de famille nombreuse — ce qui leur pose bien des problèmes.
Dans cette littérature nous remontons souvent à un Moyen-Age fantaisiste mais sauvage là où le méchant héros est souvent vaincu par un personnage a priori plus faible que lui (un enfant très souvent).
L’essayiste prouve comment dans ces “contes” des retournements de situation surviennent. Il arrive par exemple que sept petites ogresses sont épuisées de manger uniquement du chasseur un peu dur ou des enfants plus tendres à toutes les sauces et voudraient goûter à quelque chose d’autres… Se retrouve dans cette anthologie une résonance universelle.
Les ogres — d’une crédulité anormale — sont toujours dupés, ont toujours le dessous, et souvent dévorent leurs propres petits substitués. Ils finissent brûlés sur un tas de fagots qu’ils ont échafaudé eux-mêmes, et dépouillés de leurs proies.
Avec érudition et précision, Martine Courtois fait donc le tour de la question. Elle ne mâche pas ses mots et c’est ce qu’il faut pour évoquer le matériau palpitant et goûteux qu’elle réanime.
jean-paul gavard-perret
Martine Courtois, Dans la cuisine de l’ogre, Anthologie précédée d’un essai, Éditions José Corti, Paris, 2019, 272 p. — 22,00 €.