Maya White,Trente trois Papillons

Du monde-boîte au monde-oignon

Dans Anfall (2000), Maya White lais­sait poindre, tirée des strates de vies entas­sées sous le sable, l’avant-dernière couche : celle d’un séjour à Ber­lin dont elle récu­pé­rait les cendres et qu’elle résuma ainsi : « Des monu­ments de men­songes sont bâtis sur les braises. Je me pro­mène dans ce men­songe ». Depuis, elle était res­tée, sinon muette, du moins sans lais­ser de nou­velles. Douze ans après, elle resur­git avec Trente-trois papillons, une série de frag­ments écrits ces der­nières années. Grâce à superbe mise en page dont l’éditeur Alain Ber­set garde le secret, le texte est mis en lumière. Il est monté en ten­sion et net­teté. Les mots découpent un espace dans l’espace comme ils frag­mentent le quo­ti­dien.
Consti­tué d’éléments intimes, le texte n’a rien d’un pro­pos nar­cis­sique. Les anec­dotes, les sen­sa­tions, leurs effluves se suf­fisent et forment un monde en soi. Des images aux mots, il ne peut y voir qu’un trait d’union, une poé­tique sem­blable. L’intime est là, mais à tra­vers de légers décadrages.

Dans l’abstraction, des mots arti­culent une extase très par­ti­cu­lière, presque inef­fable. Si bien que ce livre devient un aître : à savoir l’âtre de l’être-texte. Son auteur sait com­bien les mots ne sont pas la vie mais son dépôt. En consé­quence, Maya White garde uni­que­ment ceux qui ont valeur d’indices pour le lec­teur. Et c’est pour­quoi ils touchent.
Un tel livre reste le lieu de fouille de l’existence et l’incarnation d’un exer­cice de luci­dité. Chaque frag­ment devient porche, pas­sage dans une théâ­tra­lité du signe humain. Mais celle-ci n’a rien de sur­joué. Mes­sa­gère d’un uni­vers clos, l’auteure crée le pas­sage d’un monde-boîte à un monde-oignon. Elle glisse du fermé à l’ouvert. Un rite poé­tique trans­forme la notion même d’un genre qui trop sou­vent n’est que la pâle preuve d’une vanité.

Avec Trente trois papillons  (du soir ?), les mots reviennent han­ter les lec­teurs dans le pré­sent et sa perte de repères Mais sou­dain le livre bâtit  un mys­tère : le quo­ti­dien joue contre le peu qu’il est. Si bien que, comme ce texte, il ne se quitte pas.

jean-paul gavard-perret

Maya White, Trente trois Papillons, Héros-limite, Genève, 64 p. - 12,00 euros, 2013.

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Filed under Non classé, Poésie

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