Ilse & Pierre Garnier, Carlfriedrich Claus, Une amitié de lettres

Une langue visuelle et sonore

Une lettre de Pierre Gar­nier à son cor­res­pon­dant alle­mand per­met de com­prendre à la fois le pro­ces­sus de créa­tion du poète et une belle défi­ni­tion du spa­tia­lisme : “Pour l’instant, je pour­suis mes tra­vaux théo­riques – je ne crée presque jamais rien en hiver – théo­rie excep­tée. Mais le prin­temps va bien­tôt être là, et avec lui la force, la vigueur. Ah, comme je suis réglé sur cette terre – comme je réagis sui­vant les mou­ve­ments tel­lu­riques. C’est pour cela, vois-tu, que je suis si près de toi – et si loin de toute poé­sie méca­nique, sta­tis­tique, per­mu­ta­tion­nelle etc… – étant cen­tré sur la vie et sachant que nos syl­labes, que les cor­pus­cules lin­guis­tiques, que tes pay­sages sont bien de la vie. Cer­tains me disent : il n’y a pas de pen­sée dans la poé­sie nou­velle !! Alors que leur faut-il ? Les mots, les syl­labes, les cel­lules de la langue, est-ce que cela n’est pas de la pensée !!?”

Pierre Gar­nier a sou­vent et lon­gue­ment séjourné en Alle­magne dès 1946. Il y a ren­con­tré Ilse (sa femme) et de nom­breux poètes dont Carl­frie­drich Claus en 1963. Leur cor­res­pon­dance à trois est ras­sem­blée et ce, jusqu’en 1998, année de la mort du poète alle­mand. S’y découvrent ami­tiés, pro­jets et contin­gences poli­tiques (la cen­sure en RDA).
Les trois poètes sont réunis par la même idée de l’écriture expé­ri­men­tale et de son sens. Il s’agit d’inventer une langue visuelle et sonore qui se déploie dans l’espace de la pages par gra­nules, explo­sions ou sta­tismes. Les trois créa­teurs se réclament comme « les pri­mi­tifs de l’époque cos­mique et fonc­tion­nelle de l’humanité » là où l’humanisme échappe au pur logos mais se sépare déjà des pro­gram­ma­tions numé­riques qui com­men­çaient à poindre.

Le livre offre aussi des exemples d’œuvres spa­tia­listes des trois poètes dans leurs formes simples et élé­men­taires, cercles, car­rés, habi­tées par un mot au besoin élidé dans l’espace blanc de la page. Et ce, afin  que l’imaginaire du lec­teur puisse sou­le­ver des inter­ro­ga­tions là où, par manque d’un élé­ment “signi­fiant”, une amorce de sens nou­veau se met à ger­mer entre échap­pées visuelles et ques­tion­ne­ment  méta­phy­sique infor­mu­lée mais bien pré­sent dans ce jeu bien  plus sérieux que ce qu’il fut sou­vent considéré.

jean-paul gavard-perret

Ilse & Pierre Gar­nier, Carl­frie­drich Claus, Une ami­tié de lettres. Choix de lettres, tra­duc­tion, notes, édi­tion éta­blie sous la direc­tion de Vio­lette Gar­nier. L’herbe qui tremble, 2019, 396 p. — 35,00 €.

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