Comprendre/voir l’insaisissable
Inaugurant la collection “Livres d’artistes” du Taillis Pré, les deux créateurs proposent un travail “en repons”. Une nouvelle fois et sous forme synthétique, la peinture “abstraite” de Neuforge devient un moyen d’ouvrir à la réalité là où une telle créatrice audacieuse objective d’une certaine manière sa pensée, son moi profond avec un langage moins net que celui du poète ou de l’écrivain.
C’est pourquoi elle fait appel à Jean-Marie Corbusier dont elle est si proche pour insister sur sa rigueur créatrice et “le balancement des traits qui tournent sur eux-mêmes et s’élancent vers leur prolongements”. Le poète tend sa perche à l’artiste qui elle-même la prolonge vers le regardeur pour lui offrir un refuge précieux face au monde.
Chaque oeuvre de Dominique Neuforge crée l’apparition d’un fragment issu d’une libération d’énergie. La peintre la concentre et la prépare par l’intériorisation de sa perception du monde issue de ses méditations comme de ses émotions.
Les peintures en autonomie par rapport au réel posent une énigme, emplissent le vide par la germination des courbes et des couleurs, jouent de la transparence et de la fluidité d’un enroulement subtil.
Le poète la souligne mettant à nu une “tension qui apaise” parce qu’elle “libère la vue” susceptible de comprendre/voir l’insaisissable. Quant à l’artiste, elle dépouille les apparences, rejoint un lointain obscur pour le délivrer.
Les éléments appliqués sur une forme première font moins un bâillon qu’ils ne se donnent comme ce qui ouvre en un exercice de discrétion par des jeux de formes là où rien ne blesse ou déchire. Une refondation du monde a lieu. Et c’est comme si le « mal » était tenu à distance en une quête de l’absolu.
Il existe toujours une densité, une extension contrôlée là où l’œil fouille l’interne, le silence pour en exhausser des pépites. Entre la force des couleurs sombre de laves s’exprime la nostalgie paradoxale de nouveaux ailleurs.
jean-paul gavard-perret
Dominique Neuforge & Jean-Marie Corbusier, Peindre : ouvrir le quotidien, Editions Le Taillis Pré, Belgique, 2020.
Dans l’abstraction du peintre il existe une lévitation qui invite le poète à sortir de sa procrastination . Et le quotidien s’ouvre automatiquement .