Werner Lambersy & Philippe Bouret, Ligne de fond

Pour par­ler : Wer­ner Lam­bersy et Phi­lippe Bouret

Depuis quelques années, l’oeuvre de Wer­ner Lam­bersy s’était éloi­gnée de moi. Ou plu­tôt, non, je m’en étais éloi­gné sans savoir vrai­ment pour­quoi . Et ce, après une de ses publi­ca­tions mécon­nues et pour­tant non négli­geables Der­nières nou­velles d’Ulysse – avis de recherche (Edi­tions Vincent Rou­gier) dont des ter­cets tels que « Le vieux / Sperme ban­caire / S’occupe des bor­dels » pla­çait Lam­bersy parmi les poètes belges irré­gu­liers de la langue.
Il me sem­blait pour­tant et a priori bien éloi­gné des Pic­que­ray, des Miguel, de Bla­vier,  Bal­tha­zar, Koe­nig , Jac­q­min et autres ico­no­clastes d’outre Quié­vrain. Avouons-le : je le voyais plu­tôt appar­te­nir au cercle des poètes pre­miers de la classe et d’une cer­taine cours abba­tiale plus que cours de récréation.

Avec Ligne de fond le goût pour le poète m’est revenu et ma vision change. Ce livre épais res­tera un des textes phares du poète. A cela, une rai­son majeure. Il est inter­viewé (mais le mot quoique juste semble insuf­fi­sant) par Phi­lippe Bou­ret. Ce der­nier est passé maître dans l’art de l’accouchement des âmes ou ce qui en tient lieu. Son sta­tut de psy­cha­na­lyste n’y est pas pour rien. Et ce que les mots ne font pas, Bou­ret est sus­cep­tible de l’activer jusqu’à ce que l’imprononçable prenne corps.
Si bien que Wer­ner Lam­bersy, sans vrai­ment tom­ber dans un piège, dit ici ce que sa poé­sie elle-même tente de cacher. For­cé­ment car c’est la “loi” de toute écri­ture, son com­ment dire cache — et Bou­ret plus qu’un autre le sait — un com­ment ne pas dire. Existe en effet tou­jours le com­ment taire “que les mots font pour nous”.

Mais sor­tant de l’écrit, Lam­bersy se met à table d’une autre façon. Avec ses forces et ses fai­blesses. Gageons que l’exercice de len­teur d’un tra­vail d’approfondissement prend par­fois l’auteur au dépourvu. Mais pas tou­jours. Il se plaint  de son rôle négli­geable dans la cité (il est plus impor­tant qu’il feint de le cacher) et il donne par­fois à la poé­sie et sa pra­tique une mise en scène qu’il fau­drait recon­tex­tua­li­ser. Mais ce ne sont là que des détails.
En effet, Bou­ret fait tou­cher l’essentiel de l’homme et de l’oeuvre qu’il “déplie” habi­le­ment. Si bien que les réflexions de l’auteur per­mettent de com­prendre tout ce que les mots ne font pas — même dans la poé­sie — car il “n’existe pas dans notre corps d’instrument pour pro­fé­rer l’imprononçable”.

Ce der­nier y réside mais quid de l’accès à l’inconscient (qui serait sans doute la clé de l’énigme) ? Ce qui n’empêche pas d’écrire ce “ça” qui n’est pas “ça” (Lacan l’a suf­fi­sam­ment illus­tré) par où tout passe et ne passe pas et fait que toute oeuvre est une per­pé­tuelle reprise pour ten­ter néan­moins d’exprimer l’impossible “pas au-delà”, ici-même, ici-bas.
Lam­bersy fait preuve dans ce jeu maïeu­tique d’une luci­dité excep­tion­nelle. Elle rend l’homme et l’oeuvre encore plus pas­sion­nants. Le texte devient une pro­pé­deu­tique à sa (re)lecture. D’une cer­taine manière appa­raissent les tenants et les abou­tis­se­ments d’un par­cours qui ne cesse de se répé­ter parce qu’il faut le reprendre pour le voir ou l’écouter autrement.

Ce livre doit autant à l’interviewer qu’à l’interviewé, Ce der­nier pos­sède le mérite — du moins en appa­rence — de s’effacer. Il devient — lui-même et dans le silence qu’il laisse — “poète par contu­mace”. Il sait lais­ser filer le dis­cours jusqu’à ce que Lam­bersy passe à une sorte de pen­sée qui se crée en avan­çant. Elle échappe à ce qu’il aurait pu pré­voir. Et c’est passionnant.

jean-paul gavard-perret

Wer­ner Lam­bersy & Phi­lippe Bou­ret, Ligne de fondLa rumeur libre édi­tions, coll. Le psy­cha­na­lyste dans la cité, Sainte Colombe sur Gard, 2019, 270 p. — 19,00 €.

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