Abgrund / L’Abîme (Thomas Ostermeier / Maja Zade)

Le vide, en creux

Au centre d’un pla­teau noir brille une grande table qui se veut autant espace de convi­via­lité, zone de cuis­son que plan de tra­vail. Elle est encom­brée de verres, de mets divers, de vais­selle, de bou­teilles. On y cui­sine, on y dîne, on s’y ras­semble. Une soi­rée entre amis chez les bobos. On se reçoit tout sim­ple­ment, on se parle d’un air entendu. Le pro­pos de la pièce est pré­senté comme frag­men­taire.
De courtes séquences s’enchaînent et viennent illus­trer à grands traits l’état des rela­tions entre les per­sonnes réunies, per­mettent de les situer socia­le­ment et les unes par rap­port aux autres – par un jeu de quelques répliques pré­le­vées qui nous fait entrer dans une dis­cus­sion en cours et que l’on quitte inache­vée. En résulte une approche indi­recte d’un objet qui appa­raît d’abord indéterminé.

Long­temps, le pro­pos reste super­fi­ciel ; il sou­ligne iro­ni­que­ment la suf­fi­sance et le cynisme de notre époque. Le spec­tacle s’écoute au casque. Double effet : proxi­mité de la parole, dite dans l’espace privé de l’intimité ; dis­tance des acteurs, pro­je­tés dans l’espace public de l’artifice.

L’abîme, c’est la béance du dis­cours, qui ouvre à l’inquiétude consti­tu­tive de cha­cun d’entre nous. C’est la viduité des dia­logues, la vacuité des exis­tences nour­ries de futi­li­tés. Mais c’est aussi un drame, un des pires qui soit, qui advient subi­te­ment. Comme tous les autres objets de la pièce, il aura été dési­gné indi­rec­te­ment, par ellipse. La mort impro­bable, le meur­trier impos­sible viennent jouer le rôle de révé­la­teur : ils rendent aux choses leur noir­ceur, leur tona­lité irré­pres­si­ble­ment tra­gique, une déses­pé­rance qui pro­jette les per­son­nages dans leur intime ridi­cule.
Tho­mas Oster­meier brosse un tableau suave et bru­tal de l’absurde qui nous tient à la peau, qui vient miner fon­ciè­re­ment nos bal­bu­tie­ments de vie. C’est pré­ci­sé­ment par le choix d’une scé­no­gra­phie volon­tai­re­ment mono­li­thique, qui vient redou­bler la mono­to­nie des échanges d’avant le drame, que le texte un peu lisse est le plus judi­cieu­se­ment servi. D’où une repré­sen­ta­tion forte, effi­cace, percutante.

chris­tophe gio­lito & manon pouliot

Abgrund / L’Abîme
Mise en scène Tho­mas Ostermeier

Schaubühne Ber­lin
Dra­ma­tur­gie Maja Zade

 Avec Chris­toph Gawenda, Moritz Gott­wald, Jenny König, Lau­renz Lau­fen­berg, Isa­belle Red­fern, Alina Stie­gler et la par­ti­ci­pa­tion de Svéa Deren­thal et Keziah Bürki (en alternance).

Décor et cos­tumes Nina Wet­zel ; vidéo Sébas­tien Dupouey ; musique Nils Osten­dorf ; son Jochen Jezus­sek ; dra­ma­tur­gie Maja Zade ; lumières Erich Schneider.

Au théâtre Les Gémeaux, Sceaux / Scène Natio­nale / Grand Théâtre

49, av Georges Clé­men­ceau / Sceaux RER B sta­tion Bourg-la-Reine réser­va­tions : 01 46 61 36 67

Du jeudi 3 au dimanche 13 octobre 2019 du mardi au samedi à 20h45 dimanche à 17h

Durée : 1h40. En alle­mand sur­ti­tré. Créa­tion à la Schaubühne le 2 avril 2019

Leave a Comment

Filed under Théâtre

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>