Christophe Tarkos, Petits bidons et autres textes

Un fluide et une totalité

L’antho­lo­gie s’ouvre par une auto-représentation  du poète des plus som­maires :  “je lis des textes”, dit-il entre autres. Il se pré­sente comme “per­sonne de coeur” qui trans­crit sa poé­sie en lisant les anciens avant de les “frap­per” dans l’espace. En effet, Cris­tophe Tar­kos (1963 — 2004) enga­geait sa voix dans chaque texte. Pour lui, il était hors de pro­pos de faire pro­non­cer ses textes par d’autres que lui.
D’où son goût de la per­for­mance qui per­met d’explorer le texte dans sa puis­sance d’origine plénière.

En ce sens, il fait ce qu’il dit en disant, il dit ce qu’il fait en fai­sant non sans humour dans le gon­fle­ment de son souffle qui ren­dait par­fois ses per­for­mances irré­sis­tibles là où de ce “je gonfle” nais­saient par­fois des fuites… Mais cette option créa bien des mal­en­ten­dus sur son oeuvre et son idéal de clarté qui était celle de “diseur”.
Le “je gonfle” pose néan­moins la ques­tion du “conte­nant” de tout poète. Et Tar­kos cher­cha à dire la vérité dans un lan­gage qui ne pou­vait a priori que se dire.

Il n’existe donc pas de lan­gage “exté­rieur”, légi­fé­rant ou à “condi­tion dis­cur­sive”. Pour lui, le lan­gage n’est jamais déta­ché de ce qui se dit. Tar­kos ne cherche pas à être poète : il fait avec seule fidé­lité à son art, quitte à récu­ser “la poé­sie toute faite” de ceux qui l’ont pré­cédé. Reje­tant tout sacré dans la poé­sie, il va vers le blas­phème pour trans­for­mer le champ de la poé­sie en la sub­ver­tis­sant de diverses manières.
En dix ans, il aura fait le tour de la ques­tion et sur­tout en la trans­for­mant dans sa force d’interpellation. Sur le plan de l’édition de ses textes, il passe de “Boxon” à “Action Poé­tique” par exemple sans la moindre étroi­tesse de vue et d’esprit.

Tarkos resta animé d’une ten­ta­tion de tota­lité par rap­port à un savoir qui ne se réduit pas à la poé­sie. Dès lors, il s’agit pour lui “de se mettre en transe” non par reli­gio­sité mais selon une pro­cé­dure expé­ri­men­tale. Elle repose sur la ques­tion des effets plus que des causes — ce qui le place du côté de la sophis­tique et non de la phi­lo­so­phie et  le fait  deve­nir — para­doxa­le­ment — un  sujet d’étude dans les écoles d’art afin que les futurs artistes com­prennent ce que tout lan­gage, quelle qu’en soit la nature, engage.
Adepte de “ma langue”, un pen­dant à “lalangue” de Lacan,  Tar­kos la fait jouer et “cou­ler” dans ce qu’il nomme “un fluide et une tota­lité” afin dit-il que “la pâte-mots colle” ajoute-t-il. Cette “pâte-mots” est pour lui un état de fait que tout le monde pos­sède. Par cette masse ou ce monisme, il s’agit de recom­po­ser une autre consis­tance pour que la rela­tion à l’autre ne soit pas un simple remplissage.

Proche en ce sens et une nou­velle fois de Lacan, il trans­forme la langue en une expé­ri­men­ta­tion et une “com­pote” qui se retrouve en para­doxal “petit bidon fermé et vide”. Mais, néan­moins, en lui “l’huile” est air : un air qui bouge en effluves et auquel le poète va don­ner “voix”. Et ce, face à une époque bavarde que son propre bavar­dage annexe sans souci d’une langue pure.
L’objectif est de  faire bou­ger la langue la plus cou­rante — pour la rat­tra­per par la queue et ren­ver­ser le monde.

jean-paul gavard-perret

Chris­tophe Tar­kos, Petits bidons et autres textes, Pré­face de Natha­lie Quin­tane, P.O.L., Paris, 2019, 224 p. — 9,50 €.

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