De Paris en Normandie, notre fuseau national est à l’heure noire. La ménagerie est lâchée, et on ne sait pas si c’est celle Bialot ou celle d’Oppel.
Jean-Hugues Oppel et Joseph Bialot sont deux grands môssieurs du roman noir français. Si le premier est un arpenteur habituel des noirs rivages, ce n’est pas le cas de ce loup solitaire de Joseph Bialot. Tout les rapproche et, paradoxalement, les éloigne. Ce n’est pas une surprise de voir Oppel nous proposer, avec un Réveillez le Président ! sans gants, un roman aussi dramatique qu’angoissant où l’humour est omniprésent, tandis que Bialot nous fait voyager entre Saint-Maur et la Normandie à la poursuite de vieux démons pour ranimer la mémoire et finir la tâche d’un père spirituel décédé. Sa Ménagerie est lâchée aux basques de tueurs sans pitié.
Jean-Hugues Oppel, Réveillez le président !
Véga est dans le coma. Un accident vasculaire l’a envoyé au Val-de-Grâce dans le plus grand secret. Et on peut dire qu’encore une fois, ça tombe mal. Qui est Véga ? Tout simplement le Président de la république française. Pourquoi ça tombe mal ? Parce que la France est en alerte Rouge. Et personne ne comprend pourquoi. Caroline Laverda est une informaticienne de renom. Son ancien amant vient la chercher pour l’amener dans les sous-sols de l’Élysée, dans le centre de contrôle “Jupiter” pour tenter d’infiltrer le réseau informatique. La France est confrontée à un très gros problème. Ses quatre sous-marins SNLE sont tous en mer, parés au combat.
Qu’importe l’ennemi, le temps que l’on respecte scrupuleusement la procédure. Et à bord du Téméraire, le capitaine de vaisseau Laurent de Saint-Lapray incarne à merveille le militaire procédurier. Pour s’en sortir, il faudra compter sur un président qui refait surface, ou un Président du Sénat qui retrouve ses mots de passe, à moins qu’il ne faille affréter un Concorde vers les Antilles pour retrouver la conceptrice du système informatique de “Jupiter”. Pendant ce temps aux États-Unis, c’est aussi le branle-bas de combat. On ne comprend pas contre qui la France est en guerre, et deux généraux, entre desserts et digressions climatiques sur l’Antarctique, y vont de leurs hypothèses. Dans le monde, on n’ose imaginer l’inimaginable, et pourtant c’est bien pire que ce à quoi l’on peut s’attendre. Le sort de la planète ne dépend que d’un cheval de Troie dans un ordinateur. Une crotte de souris, quoi, à l’échelle universelle.
En cette veille d’élections présidentielles, Jean-Hugues Oppel nous concocte un savant mélange de dramatique et d’humour. Parsemés dans son roman, de courts chapitres Boum ! rappellent tous ces faits divers de l’après-guerre qui auraient déjà pu nous conduire à la Troisième Guerre mondiale. Le monde est caustique et il nous le fait bien savoir. Et le pouvoir est aux mains d’incompétents notoires qui n’hésitent malheureusement pas à se faire des crasses de garnements. Le ridicule ne tue pas, une bombe nucléaire, si. Les systèmes les mieux conçus du monde comportent leurs failles. Le message de Jean-Hugues Oppel est clair est net : on n’aura pas tous les jours sept secondes de marge pour sauver la planète d’une catastrophe sans retour. Sept secondes… Réveillez le Président ! un thriller paranoïaque ? Meuh non !
Joseph Bialot, La Ménagerie
Il existe à Paris une Unité d’enquêtes spéciales de la police judiciaire un peu particulière. Orpheline de son chef de meute, le fameux Loup, cette Ménagerie est dirigée par son fils spirituel, Malo Rottweiler, dit Le Chien. La meute se met en chasse quand Loup est retrouvé mort dans la petite ville banlieusarde de Saint-Maur, non loin de son pavillon. Malo est sur le sentier de la guerre. Pour ce fils de la DDASS, Loup représentait tout. Celui qui l’a remis sur le droit chemin, qui lui a tout appris et dont il découvre qu’il ne connaissait rien de sa vie. Une vie où Marie et Marine occupaient une place importante.
Tous les chemins mènent en Normandie. C’est bien connu. Là-bas, les falaises sont belles, mais dangereuses. Que dire du calva ? À la fois poison et eau de jouvence. Dieppe a du mal à se remettre des séquelles de son histoire, entre le débarquement canadien raté de 1942 et celui plus réussi de 1944. Au milieu de tout ça, une bande de garnements, les Mousquetaires, moins innocente que jamais. Sur la ligne de chemin de fer Paris-Normandie, les morts s’amoncellent, mais ce n’est pas un .45 qui pourra réduire au silence Le Chien et sa clique. Non. Pas même les relations diplomatiques de la belle Carole. Pendant ce temps, Le Chameau et Pottock, fidèles à leur poste, encadrent un Chien en manque de son Astrid de compagne, toujours aux quatre coins de l’Europe.
Joseph Bialot fait partie de l’Histoire, peut-être à son corps défendant. De sa déportation à Auschwitz — C’est en hiver que les jours rallongent — il est revenu à jamais marqué (c’est une banalité que de le dire, mais cela reste toujours aussi important). On ne s’étonnera pas, alors, de constater combien ce roman, à l’atmosphère envoûtante, est empreint de toute une culture Seconde Guerre mondiale. Les animaux de compagnie de Joseph Bialot sont à la fois teigneux et attachants. L’histoire est belle, comme peut l’être toute histoire née d’une tragédie que n’auraient pas reniée les Grecs.
julien védrenne
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