L’orage toujours remonte le temps
Pour illustrer la “fenêtre sablée d’une pluie / qui monte à l’assaut de mon visage”, Marc Pessin, plutôt que de graver des carreaux trop factices, crée un désert blanc. C’est une manière de suggérer un passé et d’évoquer le lieux où la pluie volatile brise ses becs. Sur la vitre, elle multiplie les yeux ou plutôt le regard du poète par diffractions multiplicatrices de ce qui communément s’appelle des gouttes.
Une transsubstantiation a lieu. Le vol de la pluie en son arrêt sur écran transparent crée des frémissements à l’intérieur des jours et des êtres. Sur les deux, il laisse ses empreintes. Jadis le déluge faisait pousser des “laves brunes” ou “une écume coupable”. Mais, sous la tempête, la nuit sursaute comme un ballon de baudruche.
Grâce au minimalisme du graveur, le poète avance “dans le champ noir” que la foudre déterre et secoue. Et par effet de “repons” — à l’image des claquettes des gouttes sur le support — les deux créateurs inventent leur carte du monde d’avant les hommes. Preuve qu’à l’époque c’était peut-être mieux. D’autant que désormais “le monde déchire ses habits”. Le monde ou ceux qui le détruisent.
Reste un seul paradoxal espoir : que “L’orage toujours remonte le temps” — en hiver, en été qu’importe. Et la sourde parlure du poète et de graveur devient le seul moyen de retenir le temps au moment où ses aiguilles tombent avec celles des sapins de Charteuse.
L’évocation est aussi aporétique qu’intense.
jean-paul gavard-perret
Emmanuel Merle & Marc Pessin, Ce qui parle, Edition Le Verbe et L’Empreinte, Saint Laurent du Pont, (Isère), 2019.