Nadja : la question du regard
Sans Nadja, l’histoire de la littérature n’aurait pas été la même. Breton, quittant un temps sa tête politique et non dénuée de sectarisme, se dégage de tout souci de respectabilité et de prestige. Il ne se veut plus propriétaire des clés du surréalisme et de ce dont il a hérité mais aussi de ce qui soudain jaillit des profondeurs et ce que le manuscrit laisse voir au plus près.
Breton s’y fait magicien d’Oz, appliqué mais ailé. Le hasard, le rêve, la rencontre apparaissent loin des manières émises et des reproductions du logos. Tout ici est pointu et animé. Les codes figuratifs et lexicaux deviennent des instruments qui illimitent l’image et le texte là où tout semble passer néanmoins pour naturel.
Dans cette édition sous cloche où chaque page apparaît comme un très beau plan-séquence, l’objet livre et son contenu captent la lumière changeante au gré de la course des nuages des époques depuis le fond du champ de cette aventure qui, dans son rectangle, déploie un espace livresque. Il repousse les limites de la représentation réaliste et les spéculations du même tabac.
Le fac-similé dans sa qualité et le texte de Jacqueline Chénieux-Cendron et Oilvier Wagner qui l’accompagne n’est en rien une copie inférieure à l’original. L’objet livre lui-même pose la problématique de l’édition et ce qu’elle peut devenir au moment de l’avènement du numérique. Celui-ci ne remplacera jamais un tel travail. Ce dernier précise le sens de ce qu’on voit. Bref, du regard sur une œuvre et son état premier.
jean-paul gavard-perret
André Breton, Nadja, coffret, Fac-similé du manuscrit et étude illustrée de Jacqueline Chénieux-Gendron & Olivier Wagner, Gallimard & BNF, 2019, 80 p. — 180,00 €.