Le poète Belge Daniel Fano après un détour adolescent vers le surréalisme littéraire (plus français que belge) s’est orienté vers d’autres piliers plus conséquents : Denis Roche, William Burroughs, Charles Reznikoff et Louis Zukofsky. Il publie en Belgique son premier recueil “Mannequins en flagrant sésame” (1973). Douze ans plus tard paraît “Un champion de mélancolie” où il inscrit sa véritable originalité et sa vision du monde de manière ironique et fractale : “Son éternel chapeau de feutre sur la tête, Joseph Beuys ne laisse personne indifférent./ Beckett essaie de réveiller ses hôtes en froissant ses journaux. / Le chien préféré d’Hitler s’appelait Blondie. (…) Le succès a permis à Woody Allen d’échouer avec des femmes encore plus belles”.
Adepte des détails quasi documentaires, il mêle le réel et l’imaginaire pour dénoncer les ombres de l’Histoire et les mythologies de notre époque.
A la vitesse des nuages inscrit une poétique de la ville très particulière à travers de nouveaux fragments apparemment disparates. Tout néanmoins se mêle mais tient dans une vision propre à la BD chère à son pays ou au film noir. Dans d’immenses zig-zags le poète traverse les époques et les continents.
Apparemment, tout est placé sur le même plan, l’anecdotique côtoie la gravité, le comique la tragédie qui plane sur notre monde et aussi l’extinction des espèces. Les narrations hybrides sont compilées astucieusement entre des oiseaux bizarres et des femmes fatales parfois “défigurées à l’acide”.
Il y à la des escrocs, des truands et des flics avec “les surnoms qu’ils se donnent dans les messages radio quand ils / sont en filature la nuit” et des films pornos. Mais tout ramène à la condition humaine selon une mise en poésie imbibée d’un désespoir nietzschéen. mâtiné des faits divers de journaux à scandales.
L’ensemble est scénarisé par un farceur digne des grands irréguliers de la poésie belge. Il en n’a jamais été aussi près, à travers cette manière impertinente de tordre le réel et d’y insérer ses hauts-voltages qui le rendent très particulier dans les hordes des écrivains et artistes qui désormais “sont dix fois plus nombreux que les chats.” Preuve –peut-être — que le monde est tombé bien bas…
jean-paul gavard-perret
Daniel Fano, A la vitesse des nuages précédé de Un champion de mélancolie, Vignette de Daniel Nadaud, Editions Unes, Nice, 2019, 96 p. — 18,00 €.