On ne se remet jamais de l’histoire, surtout lorsque sous Hitler on avait un nom que l’auteur nomme « inflammable ». Pour autant, Fullenbaum n’écrit pas un énième livre sur la Shoah. Il surprend ici par la puissance de son écriture quasi expérimentale. Pour dire le désastre, Fullenbaum au lieu d’étouffer la langue hiatus la déplace à la fois par changement de genre, cassures, répétitions et scansions.
Celui qui dans son enfance a échappé par un quasi-miracle aux rafles et à dévalé son pays en Pétainie mélange ses souvenirs et le réel en fragments ambitieux, angoissants, terribles au nom de “La” mohair qui inclut mort et air dans ce que les nazis ont commis comme forfaits.
Existe là quelque chose d’irréductible. Et ce, pour une raison majeure et un défi : la littérature ici ne fait pas image, elle s’invente et progresse. Elle indique un passage ou une traversée au moment où le texte semble appartenir non à un ordre de ce qui fut ou de ce qui est mais de ce qui reste en devenir dans les jeux de substances syntaxiques.
L’auteur remonte et démonte la topographie de la Shoah par celle de l’écriture qui devient une poétique de l’espace du son et du sens qui sort soudain du forclos. Nulle possibilité de négligence, rêverie, oubli.
L’impensable est mis à nu de manière intime et générale par celui qui offre une vision impitoyable mais laisse la place à une circulation parfois étrange : à l’étoile imposée succèdent des foulards choisis sans que l’histoire fasse de grand pas en avant – sinon au bord de bien des gouffres. C’est vieux comme elle.
Néanmoins, Fullenbaum ne désespère pas. Du moins pas en totalité. Il embrasse des phrases rimbaldiennes pour faire bon poids. Il n’empêche que l’arrivée des ordinateurs fait une nouvelle fois le jeu des barbares.
Et entre vie telle qu’elle fut ou telle que l’auteur la reconstruit, toute une charge souterraine suit son cours. Et le bilan n’est pas forcément satisfaisant. D’où ce nécessaire rappel à l’horreur de ce qui fut.
jean-paul gavard-perret
Max Fullenbaum, Mohair suivi de Mot à mot oratorio, Voix Editions, Richard Meier, 2016, –26,00 €.