Le travail poétique de Louis Savary, par delà son propre cas, représente une quête de la place de l’ “écrivant” dans le monde. Selon sa technique particulière (l’aphorisme versifié en tercets ou quatrains), l’auteur propose dans ce nouvel opus une suite à son art poétique. La théorie y trouve une forme toujours allègre mais de plus en plus profonde : il s’agit de remonter à la source des mots et de la vie pour que naisse la poésie la plus limpide.
L’existence d’un “maintenant” s’inscrit ici dans la durée qui le nourrit. Celui qui se veut “jongleur de mots” comme s’il était “dans la peau / d’une lanceur de couteau / sur une cible humaine” ne nous propose pas de formules clinquantes. Il s’agit de créer une “déclaration des Doigts de l’homme” pour celui qui cherche dans les mots la matière de s’approcher de l’être dont aucune vérité n’est première ou promise.
Une nouvelle fois, l’auteur s’approche, l’âge venant, de l’essentiel lié à la vie et ce qui en signifiera la fin. Retournant sur son parcours, Savary possède une nature d’expressivité et d’accroche qui fonde un double paradoxe : l’œuvre ne fait que passer mais elle essaye de fixer les choses. Entre ironie et subversion, il s’agit donc de renverser la naturalisation des codes culturels et des choses que l’on connaît mais dont on se soucie mal.
Une telle écriture dans son économie laisse le moins de doute possible sur ce que l’on fait, ce que l’on écrit soit en nous abandonnant à nos penchants soit en jouant les autruches en prenant du plaisir à nous trouver redoutablement seuls face à ce que nous écrivons.
“Entre fierté sans mobile / et la modestie sans outrance”, et avant de laisser la place peut-être à de plus malins que lui, Savary n’est jamais dupe de ce qu’il “commet”. La poésie devient une suite de tags. Ils lui servent de laboratoire dans une constante remise en question d’un propos qui rend l’œuvre à la fois si insaisissable et si dense derrière l’humour de plus en plus noir. D’encre — mais pas seulement.
jean-paul gavard-perret
Louis Savary, Jeter l’encre, Les Presses Littéraires éditions, Saint Estève, 2019, 102 p. –15,00 e.