Les histoires de l’oeil et leur voyance ne seraient pas le truc en plumes de Patrick Boutin si l’oeuf n’existait pas. Il est ici traité non comme la position idéale du skieur mais ce qui se devine dès les tableaux de Bosch. Le peintre prouva avant Ionesco que “L’avenir est dans les œufs”.
Et Boutin, plutôt que de jeter de la poudre aux yeux, nous et leur donne à travers l’ovo cité et sa fiction jusqu’au symptôme de la béance oculaire chère à Lacan. En effet, lorsque il se décalotte dans un coquetier, tout oeuf devient ce regard qui ne contemple que nous mêmes sans se soucier des noumènes.
Les plus angoissés des hommes, très vite, mélangent tout. Le blanc, le jaune, le vieux, le jeune, les lieux et les personnes. Comme dans la vie ou dans la rue. Mais Patrick Boutin préfère une aventure à la fois plus viscérale et plus littéraire.
Il dresse une histoire de l’oeuf proche de celle de l’oeil chère à Bataille. Ce dernier passe dans ce livre avec une présence qui fait de lui plus qu’un fantôme porté : une ombre tutélaire. Mais il n’est pas le seul.
Dans un tel texte et ses torsions, l’auteur a trouvé le style idéal : celui d’une impeccabilité perversement ampoulée en une virtuosité du rythme et du vocabulaire qui laissera les têtes d’ampoules débranchées. Que demander de plus à la littérature que ces circuits où les mots font des mouillettes dans l’histoire de Jo, Zeste ?
En guise de Joko, et pour faire l’affaire, Janet Leigh de “Psychose” ou une Du Barry contrefaite et à qui un fat bergé fait de l’oeil de boeuf en proposant de copuler sont convoquées. Elles font moins dans l’effet-mère plus que dans la contrition des plus douteuses.
Preuve que l’absolu est dans la mouillette.
jean-paul gavard-perret
Patrick Boutin, Histoire de l’oeuf, Denis Editions, Epinac, 2019, 44 p. — 10,00 €.