Certains ressentent leur volonté de dire comme une peine ou une souffrance. Zéno Bianu, face à cette sorte de contrainte qui semblerait être la seule apte au sens et à la nécessité, trouve un dire à la portée d’une autre envergure. Tout dans son écriture se détache des préjugés ordinaires, des obéissances communes. Paradoxalement et pour ne pas reprendre toujours les mêmes routines, il revient ici au livre premier, au texte des textes.
Il n’est pas le seul. Car il sait , dans une vision talmudique, que Le Livre comme tous les autres n’appartient qu’à celles et ceux qui le lisent et relisent. Proche de la position de Bianu et de l’accompagnement musical d’Odradeck, Bashung avec son épouse Chloé avait proposé il y a une dizaine d’années une lecture et une musique de ce Chant. Mais en ce cas, il s’agissait d’une simple retraduction.
Ici, l’auteur du Traité des possibles va plus loin. Se penchant sur le texte, lui faisant traverser le temps à l’ombre d’autres lectures et lecteurs (Leonard Cohen entre autres), contre la résistance à tout enrôlement, il refuse la séparation des savoirs et des arts, du profane et du sacré. Il prouve une fois de plus son esprit de révolte et d’exaltation contre toute espèce de dogme inébranlable.
Les mots du texte premier sortent de leur torpeur dans le décryptage où se perçoit le grain de la voix et de la vie d’un auteur rare. Il projette sa poésie en dehors des pouvoirs qui briment la vie et asphyxient l’amour. Le texte harmonise ce que Le Cantique des Cantiques au fil du temps a laissé comme traces. Mais, le reprenant, il ne se prive jamais d’en réarmer le mystère, d’en traquer l’érotisme qui incarne l’impossible là où, dans “la buée des nuits”, l’aimée s’ “emplit de rosée”.
Le tout dans la “sagesse du sexe éclairé” en tant qu’ “acte de la sagesse éclairante”.
Rien n’a donc lieu que son lieu là où celle qui s’adresse au Roi Salomon dans les mots de Bianu est Aurélia, Nadja voire “pire” : une Madame Edwarda qui, au besoin, sous ses colliers soulève tous nos sens. Et surtout celui de notre gravité.
jean-paul gavard-perret
Zéno Bianu & Odradeck, Cantiques des cantiques. Songes de Leonard Cohen, photos de Didier Ben Loulou, Editions L’improbable, coll. “Les cavaliers de l’Orage”, Tarbes, 2019.