Le titre indique(rait) une sorte d’abrégé. Mais moins du mort et du vif que de l’écriture elle-même. Anne-Lise Blanchard choisit en effet l’esthétique de la fragmentation et de la distillation plus que de la lallation. Deux segments en chaque page forment un jeu de “repons” avant que, dans le second moment du livre (“Glaise”), ce qui s’enfonce et se dérobe forme une pâte plus souple à l’oreille.
A l’obstruction fait place ce qu’il faudrait nommer “glissure” du dehors au dedans dans le “Clair non clos” jusqu’aux “Racines de chair”.
Et si, comme chez Michaux, la vie reste dans les plis, il s’agit de les parcourir comme des tissus précieux et les examiner avec douceur. D’où le bruire cérémonial mais simple d’une langue raffinée.
La poétesse tord le cou à la prolixité sans pour autant réduire la complexité de l’humain.
L’objectif est moins de retenir le fil d’eau pas forcément douce (qui emporte les jours jusqu’à ce que — comme les feuilles d’automne — les mots tombent à terre, c’est-à-dire sur le papier) que d’enjamber ou de marier des matières des vies. Elles se rejoignent parfois dans un érotisme génétique qui ne se dit qu’en quasi aporie, dans le duvet d’une élégance un rien ironique.
A tout effet “glamour” fait place une forme plus complexe. Elle crée la force et la cohérence parfois oxymorique des poèmes.
Jamais stylistiquement prisonnière de canons esthétiques, Anne-Lise Blanchard ose la simplicité d’une rythmique épurée. Tout se construit par successions de touches et précisions qui semblent se contredire mais qui, de fait, modifient la probabilité d’une manifestation absolue et saisissent la “voix” existentielle.
Encapitonnée de doutes, elle ne plastronne pas : “elle fraie harpigne maligne. Vénielle se veut se dans quelque chose à venir souvenirs mauvais”.
Restent toujours de l’inconnu et de l’incertain en marge des intrigues d’amour. Demain ne sera pas — ou peu — mais le poème ranime des sourires, suggère des caresses, des brises fraîches, des parfums. Et si tout va s’éteindre, il prouve que demeure encore un espace en héritage avant de prendre la voie de sortie.
La poétesse repousse des échéances, tente l’abandon sans pour autant que le consentement coule de source. Il crisse même car les assises ne sont jamais sûres ni en soi, ni en l’autre, “lui à refaire peau neuve / elle longtemps tue”. Mais des étoiles ruissellent avant que les paupières s’alourdissent. L’amour berce encore de sa houle et qu’importe s’il n’est plus au rendez-vous ou s’il n’est pas le bon.
Il s’agit dans un implicite pari pascalien de créer le miracle — misérable ou non — dans des “parenthèses à intermittence” et sans dire ce qui est dedans et ce qui reste dehors. L’auteure ne se veut pas calife, elle apprend au lecteur à avancer dans la neige ou le rouge. Et lorsque la chair se dérobe, “des lettres assemblées tentent de tenir corps” entre l’amer et le succulent : mais bien malin qui peut dire de quel saveur est le présent.
Quant au futur, à bon entendeur salut. Mais il convient encore de trouver la fissure, le souffle. Et la parole qui ne se contente pas de dire mais accompagne et fait.
jean-paul gavard-perret
Anne-Lise Blanchard, Epitomé du mort et du vif, Jacques André Editeur, coll. Poésie XXI, Lyon, 2019, 66 p. — 12,00 €.