Six livres affichent, en couverture, le nom de l’écrivain, dont quatre fictions historiques ayant pour héros le gendarme Victor Dauterive enquêtant sous la Révolution française. Avec le présent roman, l’auteur place son intrigue dans la période actuelle même si celle-ci a quelques ramifications historiques avec la conquête espagnole du Mexique, avec l’OAS en Algérie…
Un élève ingénieur, passablement éméché, traverse le parc du manoir de Caudebec pour rentrer chez ses parents. Il est minuit douze quand il tombe nez-à-nez avec une tête plantée sur un pieu, au milieu de l’allée principale. Des pièces d’or cachent ses yeux et ses dents. Il sort son téléphone.
Nadget Bakhtaoui, journaliste pour TV1, rentre de la Birmanie interdite. Le leader nationaliste regrette ses propos et fait prendre tout son matériel. Prévoyante, elle avait pris ses précautions. Le sujet sera monté et diffusé.
Denis Florin est notaire, comme son père qui avait hérité de l’étude familiale. Il vit dans le manoir, avec Colette sa grand-mère, depuis le décès de ses parents quand il avait sept ans. Elle a la réputation d’être la vieille folle du manoir. La trentaine, il mène une existence rangée entre son étude et la reconstitution de la bataille de Marignan. C’est au matin, en se rendant à son étude, qu’il fait la découverte macabre. Bouleversé, il cherche Colette. Sa chambre est vide, elle a disparu. Sur Internet, il découvre la photo de la tête coupée.
Très vite, l’endroit est localisé. Voulant chasser un couple de journalistes qui rôde dans le domaine il est filmé, hurlant, courant vers l’objectif armé d’un sabre et d’une épée. La séquence fait le tour des rédactions et on l’appelle L’assassin fou du manoir. La police, représentée par Jean-Michel Trividec un lieutenant vaniteux, Nadget envoyée par sa rédaction sur les lieux, entrent en scène.
Commence alors pour Denis une succession d’événements, d’actions toutes plus déstabilisantes les unes que les autres pour ce célibataire lunaire…
Deux personnages principaux portent l’histoire. Denis Florin, un trentenaire sans histoire, à la vie rangée et fade, mais qui possède une vive intelligence et des capacités à révéler. Nadget Bakhtaoui, d’origine kabyle, une jeune journaliste qui n’a pas froid aux yeux, qui a un caractère épouvantable et une propension à jurer sans cesse. Elle cherche des angles d’approches inhabituels pour ses reportages. C’est ainsi qu’elle côtoie Denis et comprend qu’il dit la vérité lorsqu’il affirme être innocent du crime dont la police l’accuse.
Le romancier entraîne son couple de héros dans une course éperdue de la Normandie à l’Espagne, à Gibraltar, les transformant en fuyards devant la police française, devant un mafieux. Il les entoure d’une galerie de personnages tous plus pittoresques et singuliers les uns que les autres, aux caractères complexes se révélant peu à peu. Si les uns sont attachants, empathiques, on aime à détester ceux qui ont endossé le rôle de méchant.
Jean-Christophe Porte construit son récit autour d’une chasse au trésor, d’un magot collecté par Cortès au Mexique pour le roi d’Espagne, magot volé par le corsaire normand Jean Florin. Avec des chapitres courts, voire très courts, le romancier impulse un tempo soutenu à son récit et à son intrigue. Il multiplie les trajectoires, les renversements de situations et les révélations. Il prend le parti de l’humour, beaucoup d’humour à partir des situations cocasses qu’il se plaît à mettre en scène, dans les dialogues particulièrement savoureux et dans les rapports entre les personnages.
Il pointe, aux détours de paragraphes, nombre de faits, de réflexions sur notre société comme la façon de travailler des médias, moquant cette course à l’exclusivité, au scoop. Mais il juge aussi son livre à l’aune des classiques du roman d’aventures et des romans policiers citant Tintin, Ma Dalton James Bond…
Le romancier découpe son récit en quatre-vingt-dix-sept chapitres tous intitulés d’un mot, un nom ou un adjectif, se terminant par “tion” ou “sion”, tous parfaitement en accord avec le contenu. Avec Minuit dans le jardin du manoir, Jean-Christophe Portes signe un roman magnifique à l’intrigue ciselée pour une tension croissante, ne reniant pas l’aventure débridée, servi par un couple de héros et une galerie de personnages remarquablement campés.
Le tout est raconté avec une plume alerte, avec verve et humour.
serge perraud
Jean-Christophe Portes, Minuit dans le jardin du manoir, Éditions du Masque, mars 2019, 384 p. – 19,90 €.