Jean-Louis Giovannoni, L’air cicatrise vite

Au sein des ombres 

Dans une poé­sie de frag­ments, l’auteur avance dans le monde. Il cherche un sublime par­ti­cu­lier : celui de l’incompréhensible qui ne l’effraie pas au sein de lieux qui gardent leur mys­tère : “Depuis des années, je fré­quente cet endroit. J’y déplace des pierres, fais des encoches dans les arbres. J’ai même planté des fleurs près du muret. Le plus sou­vent je m’assois et pen­dant une heure ou deux, je contemple le pay­sage. / De mes pas­sages rien ne sub­siste. Les encoches ont dis­paru et les pierres conti­nuent leur course”. 
Une force est là. Une attente aussi. Car si le départ est irré­ver­sible, l’éloignement ne l’est pas là où il arrive que les nuages eux-mêmes sont la forme que revêtent les rivières pour reve­nir à leur source. Au sein des ombres l’auteur se rend compte qu’elles nous appar­tiennent. Si bien que pour retar­der le départ s’agence une suc­ces­sions de dis­pa­ri­tions : celle des mots qu’on jette et de l’air qu’on rejette dans la somme d’actions humaines qui vou­draient ne ne pas être seule­ment des disparitions.

L’air cica­trise vite reste à ce titre le chant du fan­tôme. Celui que le poète est allé recher­cher dans des car­nets écrits entre 1975 et 1985. S’y retrouvent l’esprit et l’état à la fois de grâce et de perte de livres tels que Les mots sont des vête­ments endor­mis ou Ce lieu que les pierres regardent. Mais là où l’opaque régnait et par polis­sage, l’auteur crée une vibra­tion et une trans­pa­rence. Elles font que, par leur flui­dité, la dis­pa­ri­tion fait son lit à l’aune du temps qui passe.
De plus en plus proche de la pro­blé­ma­tique becke­tienne, Gio­van­noni prouve que “tout ce qui reste” tient à rien ou a si peu. Même les traces — pho­to­gra­phies, textes — ne résistent pas. Faute d’appui, il convient de trou­ver un lieu quasi mythique où tout — du moins ce qui reste d’amour — se ras­sem­ble­rait enfin. Est-ce pour autant qu’ici la per­sé­vé­rance soit fille de la confiance ?

Pas sûr ; elle peut tout autant être celle du déses­poir. Une boucle se boucle. Mais le cou­rage est de faire avec, même lorsque cela semble inutile. C’est comme si une moi­tié de l’être était tou­jours ce qu’on vou­drait qu’elle soit.
Et de fait, la dévo­tion à l’instant devient sinon une méthode du moins un ins­tinct afin de don­ner une conclu­sion à laquelle les pré­misses font défaut ou ne sont jamais les bons eu égard à la nature humaine.

jean-paul gavard-perret

Jean-Louis Gio­van­noni, L’air cica­trise vite, Edi­tions Unes, Nice, 2019,  64 p. - 16,00 €.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>