Dans une poésie de fragments, l’auteur avance dans le monde. Il cherche un sublime particulier : celui de l’incompréhensible qui ne l’effraie pas au sein de lieux qui gardent leur mystère : “Depuis des années, je fréquente cet endroit. J’y déplace des pierres, fais des encoches dans les arbres. J’ai même planté des fleurs près du muret. Le plus souvent je m’assois et pendant une heure ou deux, je contemple le paysage. / De mes passages rien ne subsiste. Les encoches ont disparu et les pierres continuent leur course”.
Une force est là. Une attente aussi. Car si le départ est irréversible, l’éloignement ne l’est pas là où il arrive que les nuages eux-mêmes sont la forme que revêtent les rivières pour revenir à leur source. Au sein des ombres l’auteur se rend compte qu’elles nous appartiennent. Si bien que pour retarder le départ s’agence une successions de disparitions : celle des mots qu’on jette et de l’air qu’on rejette dans la somme d’actions humaines qui voudraient ne ne pas être seulement des disparitions.
L’air cicatrise vite reste à ce titre le chant du fantôme. Celui que le poète est allé rechercher dans des carnets écrits entre 1975 et 1985. S’y retrouvent l’esprit et l’état à la fois de grâce et de perte de livres tels que Les mots sont des vêtements endormis ou Ce lieu que les pierres regardent. Mais là où l’opaque régnait et par polissage, l’auteur crée une vibration et une transparence. Elles font que, par leur fluidité, la disparition fait son lit à l’aune du temps qui passe.
De plus en plus proche de la problématique becketienne, Giovannoni prouve que “tout ce qui reste” tient à rien ou a si peu. Même les traces — photographies, textes — ne résistent pas. Faute d’appui, il convient de trouver un lieu quasi mythique où tout — du moins ce qui reste d’amour — se rassemblerait enfin. Est-ce pour autant qu’ici la persévérance soit fille de la confiance ?
Pas sûr ; elle peut tout autant être celle du désespoir. Une boucle se boucle. Mais le courage est de faire avec, même lorsque cela semble inutile. C’est comme si une moitié de l’être était toujours ce qu’on voudrait qu’elle soit.
Et de fait, la dévotion à l’instant devient sinon une méthode du moins un instinct afin de donner une conclusion à laquelle les prémisses font défaut ou ne sont jamais les bons eu égard à la nature humaine.
jean-paul gavard-perret
Jean-Louis Giovannoni, L’air cicatrise vite, Editions Unes, Nice, 2019, 64 p. - 16,00 €.