Ce n’est pas d’aujourd’hui que d’une bouche sans lèvres Bernard Noël écrit sa comédie intime sans la moindre propension à raconter son existence par le menu. Le poète s’est toujours refusé à une telle “pâtée”. Il est trop pudique et respectueux de la littérature pour se permettre une telle farce. Pour autant, il ne se limite pas à une vue “intellectuelle” de l’existence. Le corps y reste anonymement présent. Pour preuve ce livre, où celui-ci semble y avancer dans une superbe autonomie et une sorte de schize.
Depuis toujours, le poète a intégré une donnée fondamentale : “Rien que ton désir et du vide au-devant. On dirait que le là s’est changé en loin. La sensation se répète depuis si longtemps, elle garde pourtant son étrangeté”. Demeure toujours l’expérience de la douleur liée à l’histoire du langage qui trouve ici un nouveau “pas au-delà” comme écrivait Blanchot. Existe soudain le dit de la dissolution du corps dans celui du texte. Certes, demeure toujours la volonté du saisissement de la sensation mais “et à l’endroit où tu la sentais, il n’y a plus rien.”
Reste de l’amour et du reste une information informe en lieu et place d’une direction que l’auteur n’a même plus besoin de préciser. “Quelque chose suit son cours” (Beckett) mais l’espace est de plus en plus le temps au moment où l’écriture est de moins en moins la sensation puisque le corps se détache de son propriétaire.
Au squelette textuel font place des lézardes qui traversent son éboulement. Le moi devient ce que l’auteur annonçait déjà dans un livre précédent : «une purée de viande ». Ce qui ne saurait que ravir ses chers disparus (Beckett et Artaud). Reste à éprouver sans comprendre. Ou comprendre sans éprouver.
jean-paul gavard-perret
Bernard Noël, Mon corps sans moi, Dessins de Damien Daufresne, Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, février 2019, 48 p. — 12,00 €.