Une jouissive broderie métaphysique
La scène s’ouvre sombre, solennelle. Un adolescent avec un skate la traverse et s’approche d’une tête en pierre posée à terre, celle de Socrate, à laquelle il donne une accolade. Au moyen de tableaux elliptiques et suggestifs, on évoquera l’histoire d’Hesther Prynne, membre d’une communauté puritaine de Boston. Condamnée à porter sur la poitrine la lettre A – A come Adultère, A comme Angélica, A comme Amoureuse, on verra… — pour avoir eu un enfant durant les années d’absence de son mari, elle tait le nom de celui qui l’a enfantée, le prêtre.
On assiste à une chorégraphie complexe, à la symbolique explicitement voilée. S’y invitent la nudité omniprésente, des tables de célébration, de tortures, de rites hermétiques, c’est selon, le Ku Klux Klan, des hommes charmés embobinés, le tout orchestré dans un savant ballet sur des musiques plaintives. Une prétention métaphysique à dire quelque chose des frasques imaginaires de l’après-vie. Cette femme sur laquelle on essaie de tirer le rideau ne cesse de le traverser, au risque de le déchirer.
Un questionnement de la religiosité, tout aussi bien que des marasmes de l’âme humaine en proie à une déréliction, qu’elle ne comble que par le choix de ses propres souffrances. Une réflexion sur l’emprise sociale, sur l’envoûtement amoureux, sur la vigueur de la transcendance et sur l’impossible autonomie. Une fresque ambitieuse, aux allures un peu foutraque, dans la mesure où les thèmes sont traités autant comme des cris, des émotions, des gestes que comme des significations. La célébration de l’amour avide, l’imprécation grandiloquente contre les femmes vieillissantes dit combien il est vain de perpétuer et de se soumettre à toute désignation, de reconduire la faute au stigmate originel que constitue le vagin.
Angelica Liddell construit une broderie métaphysique et jouissive dont la forme est volontairement fragmentaire, évocatrice. Le spectacle peut sembler parfois s’égarer en considérations esthétiques complaisantes et autoréférentielles. Rien de grave. Il réussit avec bonheur à célébrer l’obscur, le signifiant, le transgressif, le falsifiant, contre le clair, le signifié, le normatif, le vérifiant.
christophe giolito & manon pouliot
The Scarlet Letter
texte, mise en scène, scénographie, costumes et jeu Angélica Liddell
librement inspiré de l’œuvre de Nathaniel Hawthorne
© Bruno Simao
avec Joele Anastasi, Tiago Costa, Julian Isenia, Angélica Liddell, Borja López, Tiago Mansilha, Daniel Matos, Eduardo Molina, Nuno Nolasco, Antonio Pauletta, Antonio L. Pedraza, Sindo Puche
Au théâtre de la Colline, 15, rue Malte-Brun 75020 Paris 01 44 62 52 52
https://www.colline.fr/spectacles/scarlet-letter
Du 10 au 26 janvier 2019 au Grand Théâtre
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
spectacle en espagnol surtitré en français durée 1h40
Assistanat à la mise en scène Borja Lopez
Production et diffusion Gumersindo Puche
Production Iaquinandi, S.L.
Coproduction La Colline — théâtre national, Teatros del Canal — Madrid, Centre dramatique national Orléans/Centre –Val de Loire
avec le soutien du Teatro Nacional D. Maria II, BoCA — Biennial of Contemporary Arts (Lisboa / Porto)
Le spectacle présente des scènes de nudité, des gestes posés sur le plateau peuvent être sources de gênes pour certains spectateurs.
Spectacle créé au CDN Orléans / Centre –Val de Loire les 6 et 7 décembre 2018