Lev Rubinstein, l’irrégulier conceptualiste
Inventeur du genre inédit de « la mise en fiche », Lev Rubinstein se rapproche autant du pop art poétique américain que du surréalisme belge. Jubilatoire et incongru, ce genre dont le titre n’est pas sans rappeler une méthode du KGB est celui d’un ancien bibliothécaire soviétique qui refuse le titre de poète.
Hélène Henry, subtile traductrice de ce livre précise, d’ailleurs le projet de telles farces et attrapes : « Interrogé sur ce qu’il fait, il parlera de la nécessaire réflexivité de l’art, de la connivence de principe entre les arts graphiques et ceux du langage, de son intérêt pour tout texte qui n’est pas fiction ».
Lev Rubinstein offre de surcroît une vision nouvelle de la poésie russe. Il a su saisir la langue de la rue, celle des souverains poncifs bureaucrates et les vers officiels façonnés selon l’éthique ou la schlague des Maisons des Écrivains. Au besoin, il les découpe et décortique puis les note sur ses fiches de bibliothécaire assemblées en divers inventaires selon « présupposés préromantiques », « si et signes », « Angelus poeticus » ou autres « Maman faisait les vitres ».
Les bristols sont de diverses longueurs — certains ne contiennent qu’un mot et d’autres sont vierges… Ils fomentent des jeux de cartes dont le matérialisme absurde se moque de toute logique.
L’écriture devient une portion d’image qui a glissé au creux de l’oreille. Elle y fourmille. Les mots ne laissent plus croire que le jeu de société est sérieux.
Dès lors, l’anti-poète — mais pas antimoine — préfère « construire presque machinalement / Des situations mythologiques » dont l’objet est la sortie du « champ de l’automatisation ou de l’attachement émotionnel » de ce qui nous est donné comme acquis.
jean-paul gavard-perret
Lev Rubinstein, La Cartothèque, traduit du russe par Hélène Henry, Editions Le Tripode, Paris, 2018, 288 p. — 22,00 €.