Shanshan Sun & Anne-Marie Jeanjean, Anthologie de poésie chinoise — modernité 1917–1939 et 1987–2014

Tout être est effet du dire

Dans son propre tra­vail poé­tique comme dans cette antho­lo­gie astu­cieu­se­ment flé­chée, Anne-Marie Jean­jean ne cesse de détruire les sta­tues de diverses com­man­deurs. Et contre l’apathie des antho­lo­gies trop “plates” — comme celle parue il y a quatre ans dans La Pléiade -, la poé­tesse et Shan­shan Sun ont choisi des moments qui ne sont pas ano­dins (ils sont sépa­rés par une béance par­lante).
Entre les deux époques : un  grand vide. Celui de l’ère maoïste où la  poé­sie fut mise à la botte du poli­tique puis détruite par une entre­prise d’acculturation dont la Chine a eu du mal à se défaire : le mythe du Timon­nier reste tou­jours ram­pant chez le nou­veau maître de l’empire.

Anne-Marie Jean­jean et Shan­shan Sun ont l’immense mérite de com­prendre ce que la moder­nité veut dire. Tous les poètes choi­sis sont des sophistes plus que des rhé­teurs. Il convient cepen­dant de déga­ger le pre­mier de ces termes de toutes les cri­tiques qui l’entourent. Le sophiste est celui qui met l’accent sur un point majeur : tout être est effet du dire. Et ce qui inté­resse les poètes rete­nus n’est pas “la” vérité mais com­ment elle se fabrique.
Une telle approche n’a donc rien de poli­tique. Sous l’emprise du P.C. Chi­nois  se crée en effet un lis­sage que les poètes de la moder­nité refusent. Pour eux, par­ler est un acte qui n’appartient pas à l’influence de maîtres à pen­ser idéo­lo­giques. Les seuls qu’ils recon­naissent sont le réel, l’émotion qu’il pro­voque en se nour­ris­sant de ce que les auteurs plus anciens en ont dit pour dépla­cer les hori­zons admis.

Dans cet ensemble — que pour notre part nous ne pou­vons appré­cier que dans sa tra­duc­tion — quelques noms brillent : Xu Zhimo, Ai Qing, Ji Xian, Tan Zihao, Ya Shi nous parlent tant ils sont proches de nous. De tels poètes sont capables de sai­sir l’immense comme le minus­cule. Et ils cultivent les mêmes pré­oc­cu­pa­tions que nos poètes.
Il s’agit, d’un monde à l’autre, de faire recu­ler les zones de silence et les poches d’ombres. Cela ne peut pas­ser par des dik­tats ou des slo­gans. Bref, de tels poètes — dont nous avons du mal à connaître l’écho dans leur pays — créent de nou­velles syn­thèses d’ignitions sin­gu­lières en une forme d’actualisation de pro­blèmes fon­da­men­taux inhé­rents à l’être et son sens.

Ici, tout hori­zon recule sans s’abîmer dans les mers à l’est ou se dis­sout dans les mon­tagnes à l’ouest. Dans le “Milieu” et son empire, les  poètes élus  créent une pres­sion et une pré­ci­pi­ta­tion vers la pré­sence de l’image, une convic­tion intime et un for­mi­dable appel à la liberté afin que des illu­mi­na­tions aient lieu.

jean-paul gavard-perret

Shan­shan Sun & Anne-Marie Jean­jean, Antho­lo­gie de poé­sie chi­noise — moder­nité 1917–1939 et 1987–2014, édi­tion bilingue, coll. Levée d’Ancre, L’Harmattan, 2018, 192 p. — 19, 50 €.

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