Godard & Ribera, Le Vagabond des Limbes — Intégrale tome 9 : “A l’envers du temps”

Même celui qui sait voya­ger dans le temps ne peut faire que ce qui a eu lieu revienne à nouveau.

Le lec­teur pressent bien depuis “Les trois graines d’éternité” du tome 7 de cette Inté­grale que Mus­kie et Axle sont doré­na­vant sur la mau­vaise pente. Passé d’une “fis­soeur” à une autre, id est de Musky à Mus­kie, l’ex-grand conci­lia­teur de la Guilde qui court plus après ses rêves qu’après des jupons (ou des col­lants rayés noir et jaune) à retrous­ser ne fait que semer le chaos sur le pas­sage de son Dau­phin d’argent que tous convoitent.
“Le petit clone” qui ouvre ce tome en donne d’emblée la tona­lité : l’heure n’est pas à la fête, Axle com­prend qu’il a perdu avec Mus­kie non seule­ment une part de son passé mais une grande par­tie du sens de sa vie. Il est donc bien décidé, au grand dam de son fidèle bras droit Matt Dam­mone à réuti­li­ser le cais­son conte­nant la porte tem­po­relle qui nous a été pré­senté dans “Un cer­tain Mon­sieur Ko”, bref à retrou­ver celle qu’il aime, éga­rée dans un no man’s land tem­po­rel (avec son enfant) et à payer sa dette envers le père de celle-ci, le prince des Éter­nautes, mort pour le sauver.

Suici­daire, Axle Mun­shine ? Pas tant que ça, preuve en est qu’une ren­contre impré­vue avec un vais­seau de Borghs va lui don­ner l’occasion de mettre à exé­cu­tion un plan assez machia­vé­lique qui va repo­ser en grande par­tie sur les pou­voir de télé­por­ta­tion psy­chique d’un des membres de cette espèce, lequel va le ser­vir avec dévo­tion en échange d’une caisse de ruh­me­raudes, ces pierres pré­cieuses fort pri­sées que le fils de Korian peut créer à volonté.
Ainsi, non seule­ment l’ancien grand Conci­lia­teur échappe au pro­cès que lui intente la mère de Musky/Muskie, mais il par­vient à rame­ner à ses côtés Mus­kie. Les fans de la série appré­cie­ront en par­ti­cu­lier la page 60 où, non sans relents prous­tiens, Axle somme les roboïdes de son vais­seau de recons­truire à l’identique la clai­rière enchan­tée où Mus­kie aimait à se pré­las­ser, sou­ve­nir de jours heu­reux enfuis que la magie du sou­ve­nir ne suf­fit plus à ravi­ver et dont le triste héros croit qu’il suf­fit de recréer feues les condi­tions for­melles envi­ron­nantes d’alors pour que l’instant, dans son éngi­ma­tique beauté, se répète. Las, le bon­heur pré­sente ceci de spé­ci­fique qu’il est unique et peine à se repro­duire en fonc­tion d’éléments pré­éta­blis.
Axle l’apprend bien­tôt à ses dépens. Même celui qui sait voya­ger dans le temps ne peut faire que ce qui a eu lieu revienne à nou­veau. Cette clai­rière de l’être mus­kien, paran­gon de l’insouciance qu’Axle a détruit, même remise en état, ne peut plus sus­ci­ter la féli­cité d’antan — pour cette rai­son que ce qui lui don­nait son prix, c’est une conscience dont le rap­port au temps et à l’existence a radi­ca­le­ment été modifié.

Il est par consé­quent assez logique que, rongé par le dépit, Axle cherche par d’autres moyens à faire renaître la joie de Mus­kie qu’il vient de sau­ver, notam­ment en vou­lant recréer de toutes pièces le der­nier moment heu­reux qu’il a passé avec sa fis­soeur, avant leur sépa­ra­tion : les noces de “L’enfant-Roi d’Onidryne”. D’où le pro­jet, pré­senté dans le deuxième volume de l’opus, “Le point de non-retour”, de se rendre sur une pla­nète incon­nue afin de poser les bases du décor censé trans­cen­der les retrou­vailles d’Axel et de Mus­kie.
Las, les enne­mis du fils de Korian l’ont amené à se poser sur une pla­nète instable : et c’est lors de l’évacuation pré­ci­pi­tée de celle-ci qu’Axle trouve la mort, le crâne fra­cassé par une tra­verse métal­lique. Cette fois, le lec­teur se dit que les hari­cots sont cuits, que le Dau­phin d’argent va se cou­vrir de noir et que ses divers occu­pants vont tous se mettre défi­ni­ti­ve­ment hors-circuit. Mais c’est sans comp­ter sans ce diable de scé­na­riste du Vaga­bond des Limbes, qui a plus d’un tour dans son sac et qui pioche in extre­mis dans une ahu­ris­sante théo­rie dédiée au “temps d’avant le com­men­ce­ment du temps” de quoi réveiller les morts, en l’espèce Axle Mun­shine soi-même et lec­teur, qui était déjà parti plan­ter un cierge au pied de sa BDthèque.

Le croirez-vous ?, c’est reparti pour un tour (tempo-galactique) dans les espaces infi­nis, et pas qu’un petit ! Ah, Le Vaga­bond des limbes, quand tu nous tiens.…

fre­de­ric grolleau

   
 

Godard & Ribera, Le Vaga­bond des Limbes — Inté­grale tome 9 : “A l’envers du temps”, Dar­gaud, 2006, 152 p. — 16,00 €.

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