Wilfrid Lupano continue, dans cet album, à aborder nombre de problématiques actuelles, nombre de faits de sociétés qu’il traite avec un humour à la fois chaleureux et grinçant, voire décalé. On retrouve avec plaisir l’île de la Tordue, un lieu qui a bien évolué et qui a su s’adapter aux exigences du moment pour atteindre son objectif.
Ses personnages ont constaté que c’est l’émigrant pauvre qui gêne, qui fait désordre, qui est rejeté. Le riche, par contre, ne pose pas de problème. “Quand c’est le Qatar qui rachète les musées, les plages privées et les clubs de foot, personne ne crie à l’invasion arabe. Tout le monde est content.” Ils font donc en sorte que cette pauvreté “disparaisse” et installent un fonds d’investissements. Le scénariste rappelle que le couturier Hugo Boss a : “…habillé les nazis des bottes à la casquette.”
Sur le trottoir d’un quartier huppé de Paris, Fanfan progresse lentement. Face à l’ambassade de la Suisse, elle libère un canot pneumatique qui se gonfle instantanément. Surgissent alors Pierrot et son groupe, habillés en nantis avec haut-de-forme. Ils s’installent sur ce navire, façon Radeau de la Méduse, et réclament l’asile fiscal. La police intervient et embarque tous les manifestants.
Arrivent à Paris Émile, Antoine et Juliette. Émile se désole car Errol, qui avait tout organisé pour assister au match de rugby France-Australie dans les meilleures conditions, n’a pas pu prendre l’avion à cause de ses nombreuses prothèses. Il voudrait proposer la place à Pierrot mais il n’arrive pas à le joindre. Et pour cause, celui-ci est en garde à vue !
Antoine file retrouver Sophie, sa petite-fille pour lui confier Juliette et donne rendez-vous à Émile à L’Île de la Tordue. Mais rien ne va se passer comme prévu et de multiples obstacles vont se dresser sur leurs routes…
Lupano se moque gentiment des seniors qui portent de plus en plus de prothèses en imaginant qu’Errol n’ait pu monter en avion. Mais, comme le décrit Antoine : “C’est un peu le chaînon manquant entre l’homme et la machine infernale.” Sous l’humour toutefois, il pose un regard acéré sur les dysfonctionnements de notre société, évoquant l’île de Nauru, ce petit paradis devenu une honte, les exilés fiscaux…
Ses remarques, ses mises au point, frappées au coin du bon sens, traitées avec élégance, servies par une écriture et un style enlevés, font mouche.
Paul Cauuet fait merveille avec son dessin précis, au trait juste pour exprimer les sentiments des protagonistes. Et la plage est vaste depuis les séniors blanchis sous le harnais jusqu’à la petite Juliette. Si la mise en page reste classique, elle sert parfaitement le scénario par une belle lisibilité. Avec ce cinquième tome, Wilfrid Lupano frappe fort, donne une fois encore un récit époustouflant, provoquant une addiction à la série, faisant souhaiter qu’elle ne s’arrête surtout pas.
serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario), Paul Cauuet (dessin), Jérôme Maffre (couleurs), Les vieux fourneaux – t.05 : Bons pour l’asile, Dargaud, novembre 2018, 56 p. – 12,00 €.