La critique est rarement tendre envers Eric Chevillard. Elle ne lui passe rien — jalouse sans doute de la maîtrise de l’auteur et de son humour. D’autant que certains pisse-froid lui en veulent, lorsqu’il était chroniqueur au Monde, de certaines volées de bois vert et de taille de rapières. Pourtant, depuis et entre autres Choir, Le Désordre Azerty et aujourd’hui L’explosion de la tortue, l’auteur ne laisse jamais rien tomber de sa fantaisie en sa fabrique de fables aussi allègres que quasi mortifères, développées ici entre deux aventures ou mésaventures.
En premier lieu, la mort de sa tortue de Floride. Lorsqu’il la retrouve, l’agonisante respire encore. Elle survit péniblement pour lui reprocher son manque d’amis ou son peu d’appétence pour sa famille. Dès lors, le reptile préhistorique fut abandonné lâchement. Ce qui reste de l’animal est le “crac” répété que fait la carapace lorsque celui qui n’a pas d’excuses et se résigna à l’abandonner provoque en appuyant dessus. Et le narrateur de se justifier tant bien que mal, regrettant — mais c’est un peu tard — un tel achat compulsif qu’il laissa dans son appartement pendant un mois de vacances sous prétexte qu’il voulait voyager léger.
Certes, il égrène de bonnes excuses : entre autres, vouloir remporter la tortue dans son biotope premier en affrétant un avion pour l’emmener en sa Floride natale comme hors de propos. Cela ne justifie pourtant en rien l’abandon de cette “Phoebe”, phobie d’un moment et qui finit dans son aquarium où, dans son indifférente notoire, elle semblait a priori capable de subsister quatre semaines en été. Il est vrai que le narrateur avait — si l’on peut dire — d’autres chats à fouetter : il devait s’employer — et c’est sa seconde mésaventure — à réhabiliter en la signant l’oeuvre de Louis-Constantin Nivat, parfait inconnu de la littérature du XIXème siècle et que Wikipedia lui-même ignore superbement.
Or, cette “généreuse” reconstruction risque d’être menacée. Et arrive le moment où ces deux événements qui impliquent le “meurtrier” peuvent se croiser. Et c’est bien l’énigme de cette farce ou de cette étrange affaire. Existe peu à peu une sorte d’évolution analogique entre ses deux incidents de parcours nourris d’une imagination absurde de la réalité.
Chevillard crée avec humour un nouveau jeu de massacre astucieux entre approximation et logique : celui d’une certaine forme de discours sur la méthode et dans l’évidence de son échec programmé. Le Vendéen poursuit ainsi sans la moindre faiblesse de style une oeuvre qui mise sur l’humour pour tenter de sauver l’énergie vitale (au moment où elle s’efface) au sein des matières et lettres mortes.
Il retrouve un chemin invisible par l’intermédiaire d’une fiction singulière où s’inscrivent diverses correspondances en ce qui tient d’un contre cruel dans la veine de son précédent livre Ronce-Rose (republié en collection “double” chez le même éditeur). Ce n’est pas pour autant la confusion qui règne mais une sorte de pétrification là où tout aurait dû continuer à renaître dans la poursuite de certaines obsessions.
En bout de compte et conte, la tortue a bon dos même si, en appuyant dessus, elle éclate dans l’aquarium qui lui aura servi de morgue.
jean-paul gavard-perret
Eric Chevillard, L’explosion de la tortue, éditions de Minuit, Paris, 2019, 256 p. — 18, 50 €.
Goudji de Géorgie et Paris aurait dit oui , oui , oui , j’achète la tortue de Chevillard et je la recarapace via Claude Bernard.
JPGP , croet savoyard , explose de saillies interprétatoires et jubilatoires . Bingo ! C’est vraiment dingo rigolo .
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