L’ auteur et traducteur de ce choix des poèmes du mythique poète irlandais privilégie le côté sentimental de l’œuvre plutôt que l’aspect politique ou ésotérique. Les poèmes terminaux permettent d’entrer dans le théâtre intime du barde. Samama pointe les textes où les échecs sentimentaux et la résignation forcent à une certaine sagesse sans doute désolante. D’où les soupirs amers : « Ne donne jamais ton cœur », « Surtout n’aime pas trop longtemps ».
L’amour devient un anachronisme aux réminiscences fanées. La vie à bout de souffle, sans remonter au déluge, rappelle que la plénitude n’est pas de notre monde. Nous passons d’un alpha à un oméga à se détruire, à travailler, se divertir, à aimer mais pour quoi. Pour autant, le pessimisme reste approximatif et l’âme n’est jamais perdue tandis que la vie va et que l’écriture la souligne.
Le lyrisme de Yeats devient plus écorché par une longue fièvre que par le rien. Drogué par l’essence d’éternité et sans cultiver, en dépit de ses accents amers, la pénurie des temps de disette affective l’auteur ennoblit une vie dont la richesse reste celle de l’esprit. Celui-ci détecte « des oiseaux blancs » au dessus de la mer. Ils font planer une souffle de vie sur lequel l’âme peut vaquer en grande solitude et avec un silence sans fond.
jean-paul gavard-perret
William Butler Yeats, Choix de poèmes, trad. anglais Claude-Raphaël Samama, éditions Petra, 2018, 140 p. — 16,00 €.
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