Perrine Le Querrec : là où la nuit tombe
Dédié à la mémoire de deux grands architectes — Philippe Rahmy et Xavier Corberò -, La Construction de Perrine Le Querrec est le journal d’un architecte qui doit construire un asile psychiatrique. Page après page, pli après pli, plan après plan et textes par textes s’ élabore la progression mentale et physique du bâtiment.
Au centre de ce livre émergent les questions centrales ouvertes jadis par Foucault et Deleuze : Pourquoi enferme-t-on? Et dans quels espaces ? L’écrivaine dresse un plan qu’Alexandra Sand dessine. Au recto de ses six posters, la première inscrit les 149 entrées du Journal de l’architecte dont le regard s’expose au nôtre et met en relation son Plan avec un paysage urbain composite tracé au bleu par l’artiste.
D’où la création d’un ensemble inédit qui se lit par pliage et dépliage. L’auteur propose à nouveau – pour reprendre deux de ses titres de livre — de nouveaux « Coups de ciseaux » et un « Plancher » là où les mots montent à l’assaut du silence collectif. Le livre a été écrit en 2018 durant sa résidence à la Fondation Jan Michalski à Montricher.
Implicitement, la douleur de la folie trouve là moins un lieu où s’enfermer dans sa propre nasse qu’un lieu pour se protéger d’un tout venant indifférent ou hostile . Le « moi » dit dément eu égard de sa masse cérébrale « altérée» n’est plus totalement exclu de la masse collective. L’auteure se refuse à une hystérisation sociale avide de normalité.
Sa construction devient un plan de réflexion sur un point aveugle, là où l’être qui perd ses reflets et semble trébucher dans un rien et une sorte de nuit a encore droit de cité. Face à l’obscure clarté des chemins pris comme dérangés, l’auteure travaille à faire bouger nos projecteurs mentaux pour nous permettre de découvrir un système et une systématisation aux défaillances notoires.
Sa structure à l’inverse tente de résister à l’incompréhension de l’autre qui possède ses propres réponses à nos questions sur le sujet et qui ne sont pas les bonnes.
Là où sens bâille, il convient de faire preuve d’imagination. Le Querrec appelle à une réconciliation du dehors et du dedans. Non en simple théoricienne. Avide de documentation, tout ce qu’elle écrit sous forme de fiction ou de poème refuse l’épuisement de vies condamnées à porter chaque instant la vie ou la mort d’une réalité où les être conscients estiment ne plus être pris en compte par celles et ceux qui font ce qu’ils peuvent avec ce que ce concept représente pour eux.
Son plan a donc vocation à laisser passer ce qui semble jusque là impossible : la traversée d’un désir non reconnu par la loi du plus grand nombre. Aux constructions aveugles, l’auteur et sa complice proposent un espoir où le « fou » ne se verrait plus sous sa fausse nuit mais son vrai jour. C’est en quelque sorte l’appel à la transfiguration d’un tombeau que toute une psychiatrie cherche à ouvrir.
jean-paul gavard-perret
Perrine Le Querrec, La Construction, art & fiction, coll. Varia, 2018, Lausanne — 45,00 €.