Maître de l’ambiguïté, Lars von Trier la pousse dans son dernier film jusqu’au paroxysme (pour certains), à la caricature (pour d’autres). Ce qui est sûr : comme dans chacun de ses films le malaise perdure. Et il existe chez le réalisateur un « filmique » qui ne se découvre nulle part ailleurs. The House Jack Built est la dissection d’un boucher humain à la Jack L’Eventreur. Il permet au réalisateur de revenir à un de ses thèmes majeurs : celui de la persécution (on pense à Breaking the Waves et Dogville) des innocents ou ceux qui pensent l’être (spectateurs inclus).
Le thriller devient une sorte de film d’épouvante glacée et complaisante puisque rien n’est épargné au spectateur. Le vérisme de la narration exacerbée se double d’images du nazisme et du stalinisme afin de rajouter si besoin une couche d’horreur et de perversité.
Tout cela laisse perplexe, entre doute et abîme. Et ce, eu égard à la maîtrise de Lars von Trier. On aimerait détester purement et simplement son film mais force est de constater que sa mise en scène dépote par la perfection technique des images : positions de la caméra, choix des couleurs et des plans entraînent une immersion entre fascination et répulsion.
Si bien que la question Von Trier reste ouverte. Le choix de Matt Dilon n’est pas pour rien dans ce jeu pervers où l’acteur excelle dans le rôle du diable absolu de l’Enfer de Dante — ironiquement souligné par la présence de « Virgile » (incarné par Bruno Ganz)…
Il existe une nouvelle fois chez le réalisateur érudit le goût des références, des citations. Inutile de chercher l’idéologie que cache un tel film. Il se peut même que Lars von Trier ne le sache pas. Reste que son œuvre est un cinéma christique luthérien où et le poids de la faute est omniprésent. Mais à l’inverse des cinéastes bien-pensants, le réalisateur ne cherche ni à la justifier ou la combattre. Il donne de l’humanité une vision la plus noire et sans doute dans cette oeuvre annoncée comme la dernière – mais Von Trier fait chaque fois le coup – et qui est la plus étouffante et la plus exacerbée de sa filmographie.
Rien n’est ici épargné : ni aux personnages ni aux spectateurs. Un tel film tient d’une expérience limite, sauvage, sans foi, ni loi, sauvée par rien. Rien, si ce n’est dans cet abîme de crimes à répétition le « charme » magique de la création. Et c’est bien là peut-être tout le problème, voire le plaisir coupable d’être devant une forme d’inexprimable immoral qui fait la marque d’un tel cinéaste dont la force est indiscutable.
jean-paul gavard-perret
The House That Jack Built
Synopsis
Nous suivons le très brillant Jack à travers cinq incidents et découvrons les meurtres qui vont marquer son parcours de tueur en série. L’histoire est vécue du point de vue de Jack. Il considère chaque meurtre comme une œuvre d’art en soi. Alors que l’ultime et inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher (ce qui exaspère Jack et lui met la pression), il décide — contrairement à toute logique — de prendre de plus en plus de risques. Tout au long du film, nous découvrons les descriptions de Jack sur sa situation personnelle, ses problèmes et ses pensées à travers sa conversation avec un inconnu, Verge. Un mélange grotesque de sophismes, d’apitoiement presque enfantin sur soi et d’explications détaillées sur les manœuvres dangereuses et difficiles de Jack.
de Lars von Trier
avec : Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman
genre :drame, thriller
durée : 2H35mn
date de sortie 17 octobre 2018