Tant de pistes qui se recoupent pour mieux bifurquer égarent le lecteur
On avait souligné lors de la sortie du tome 4 le rythme d’Enfer d’un Scorpion qui, décidément, ne faiblissait point. Il semble pourtant que la Cappadoce ait eu raison du dynamisme des auteurs qui s’embourbent un peu, une fois éloignés de l’aura romaine, dans les personnages et rebondissements d’une intrigue qui tire la patte. Il est vrai que tous les protagonistes de l’intrigue se croisent et recroisent à Istanbul, sans oublier sages soufis et ermites chrétiens, et que cela commence à faire beaucoup de monde : Le Scorpion et Méjaï, s’ils poursuivent leur quête de la croix de Pierre, unique preuve du mensonge et de l’imposture du cardinal Trebaldi, nouveau maître du Vatican, sont en effet rattrapés par Anséa Latal (oeuvrant pour sa puissante famille italienne, ennemie invétérée des Trebaldi), et par Rochnan et ses moines guerriers, inféodés au nouveau pape en place. Ce qui n’arrange rien aux relations fort ambiguës qui rapprochent le beau Scorpion et l’ensorcelante gitane.
D’abord en mauvaise posture parce que le conservateur de la bibliothèque d’Istambul (où le Scorpion a découvert un manuscrit selon lequel la croix de saint Pierre ne repose pas à Rome, mais à Karabas, un bourg de Cappadoce) a été sauvagement assassiné et qu’on les accuse du forfait, le Scorpion et Méjaï sont torturés sous la houlette du commandant Vazlar avant de parvenir à s’enfuir …pour être aussitôt interpellés par les nervis de Rochnan, qui les somme de lui livrer la croix du futur maître du monde chrétien liée au fabuleux trésor des Templiers. Tout ce petit monde se dirige donc bon gré mal gré vers les grottes de Karabas où le précieux secret est censément enfoui et où la rivale du Scorpion, Anséa a déjà démarré les fouilles…
Tant de pistes qui se recoupent pour mieux bifurquer aux yeux du lecteur égarent dans cette Vallée sacrée qui se donne surtout comme tome de transition. Sans doute les péripéties répétées des deux héros principaux en font-elles un peu “trop” : ce n’est pas en ces pages qu’on en apprendra davantage sur les liens entre le Scorpion et l’infâme Trebaldi. Le secret de la croix de Pierre s’annonce bien gardé puisque les scénaristes eux-mêmes oublient de l’utiliser comme ressort fondamental de cette épopée qu’on a connu plus stimulante. Reste que le dessin de Marini est toujours aussi irréprochable et chaleureux. Son graphisme des plus précis et enlevés rend le plus beau des hommages à cet orient bigarré où l’action bénéficie toujours d’une magnifique lumière : mais cela peut-il suffire à sauver La trame très cinématographique que nous offrent les deux auteurs ?
frederic grolleau
Marini, Desberg, Le Scorpion, tome 5 : La Vallée sacrée, Dargaud, 2004, 48 p. — 9, 80 € |