Franz Kafka, Œuvres complètes (Tomes I & II)

Mise en abyme et approfondissement

Les tra­duc­tions vieillissent. Pour preuve, le net­toyage non négli­geable pro­posé par Jean-Pierre Lefebvre. L’ensemble se retrouve ici en deux cor­pus. Le pre­mier réunit d’une part les textes publiés par Kafka en librai­rie ou dans la presse (entre autre Obser­va­tion — La Sen­tence — La Méta­mor­phose — Dans la colo­nie péni­ten­tiaire et des récits et frag­ments post­humes extraits du Jour­nal) et d’autre part d’autres récits et frag­ments post­humes.
Le second ras­semble les « tes­ta­ments tra­his » que Max Brod devait détruire ( « ver­nich­ten » «anéan­tir» écri­vit Kafka). Les avis divergent sur une telle tra­hi­son. Il faut rendre grâce à Brod d’avoir sauvé par son viol néces­saire des chefs-d’œuvre dont « L’Amerique » qui retrouve désor­mais un plus juste titre. Ce sau­ve­tage était d’autant néces­saire que Kafka était le spé­cia­liste des œuvres inachevées.

Les nou­velles tra­duc­tions se signalent par une pré­ci­sion plus forte : dans  La méta­mor­phose - et c’est un sym­bole de tout ce tra­vail exit le « can­cre­las » de jadis pour un plus juste et « immonde » terme. Quant à ce qui fit du Dis­paru (aka « L’Amérique » ou « Ame­rika »), le roman trouve là une ver­sion moins alam­bi­quée et plus proche du pro­saïsme par­ti­cu­lier de l’auteur.
Et si en 1980 la publi­ca­tion du second tome des Oeuvres com­plètes de Kafka à la Biblio­thèque de la Pléiade par Claude David donna un aperçu des plus com­plets de l’inachèvement consub­stan­tiel à l’œuvre, le nou­vel ordon­na­teur non seule­ment rajeu­nit les textes mais les dis­pose dif­fé­rem­ment et de manière plus claire.

Ce qui n’était pas simple dans une œuvre où – par exemple – dans les frag­ments du Jour­nal se mêlaient des bribes d’une oeuvre en ges­ta­tion, en (impro­bable) deve­nir. Certes, chez l’écrivain les textes à carac­tère nar­ra­tif et ceux à carac­tère vécu sont sou­vent étroi­te­ment liés, néan­moins, tous ces élé­ments épars et dis­joints choi­sis par Lefebvre et son équipe forment à eux seuls non des mar­gi­na­lia mais un tout. Existe là  – et même si ce n’était pas le sou­hait de leur auteur  – une sorte de mise en abyme et d’approfondissement.
Avant la lettre, non seule­ment Kafka annonce les drames du XXème siècles mais l’organigramme de la société du spec­tacle. Il rap­pelle que, noir ou blanc, l’être reste le « Négro » d’un maître. Le pre­mier est contraint à des par­cours au sein de tyran­nies diverses qui par­fois se doublent de la ser­vi­tude de la chair, de la puis­sance de la soli­tude et pas­si­vité face au destin.

jean-paul gavard-perret

Franz Kafka, Œuvres com­plètes,  Tome I et II, Trad. de l’allemand (Autriche) par Isa­belle Kali­nowski, Jean-Pierre Lefebvre, Ber­nard Lor­tho­lary & Sté­phane Pes­nel. Édi­tion publiée sous la direc­tion de Jean-Pierre Lefebvre, La Pléiade, Gal­li­mard, 2018, 1392 p. et 1072 p. — 55,00 & 60,00 €.

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