René Follet (dessin) / André-Paul Duchâteau (scénario), Terreur, Tome 1,Tome 2

Ce dip­tyque nar­rant la vie de celle qui devien­dra Madame Tus­saud est un chef-d’oeuvre visuel… et narratif.


Atten­tion ! chutes de têtes…

1793/1794… période trouble s’il en est : la Ter­reur sévit en France, et la guillo­tine ne chôme pas. Marie Gros­sholz non plus : elle se rend chaque nuit sur les lieux d’exécution et achète des têtes dont elle effec­tue des mou­lages de plâtre afin de confec­tion­ner plus tard les visages qui iront se jucher sur les corps de cire expo­sés dans le Cabi­net Cur­tius, créé par son oncle — une attrac­tion qui connaît un grand suc­cès. Mais en ces temps tur­bu­lents, la seule repré­sen­ta­tion d’une per­sonne jugée “traître à la patrie” devient un acte émi­nem­ment sub­ver­sif, et Marie doit se mon­trer d’une extrême pru­dence dans ses choix de figu­rines mon­trées au public. Le citoyen poli­cier Jabot veille…

Jabot est d’autant plus vigi­lant qu’il traque un pam­phlé­taire du nom de Jean Fran­che­min, qu’il soup­çonne de gra­vi­ter autour de Marie. Il ne croit pas si bien pen­ser. Mais la jeune femme est habile à déjouer sa sur­veillance. Elle n’en est pas moins entraî­née dans une sombre his­toire de joyaux déro­bés et de com­plots our­dis dans l’ombre des inces­sants bou­le­ver­se­ments. Marie échoue à la Concier­ge­rie où elle se lie d’amitié avec José­phine de Beau­har­nais — ce qui lui vau­dra, plus tard, d’être appe­lée à la cour pour réa­li­ser un mou­lage du futur Napo­léon 1er, alors Pre­mier consul. Après son éva­sion de la Concier­ge­rie, Marie fuit en Angle­terre. Sillon­nant l’île avec son musée iti­né­rant de man­ne­quins de cire, répa­rant quoi qu’il arrive les des­truc­tions occa­sion­nées à ses figu­rines, elle ne cesse de trou­ver sur sa route ceux qui, dans le pre­mier tome, l’avaient si sou­vent mena­cée : son cou­sin Des­ma­rets, le mon­treur d’ombres chi­noises Phi­lips­tahl, l’entêté Jabot… tels de fan­to­ma­tiques tor­tion­naires. Mais plane aussi l’ombre de son amour de tou­jours, Jean Fran­che­min. Vient enfin le temps de la paix, de l’installation à demeure à Londres du musée de cire qui devien­dra… le célé­bris­sime Musée de Madame Tussaud.

Car Ter­reur ne raconte rien autre que la vie de Madame Tus­saud — un nom connu dans le monde entier, asso­cié à un musée de cire lon­do­nien dont la noto­riété vaut celle de notre musée Gré­vin. Mais sans doute peu de gens savent-ils que der­rière ce nom fameux se cache une jeune Fran­çaise appe­lée Marie Gros­sholz, qui com­mença de sculp­ter la cire en pleine ter­reur révo­lu­tion­naire. André-Paul Duchâ­teau, le scé­na­riste bien connu pour, entre autres, son tra­vail aux côtés de Tibet sur la série Ric Hochet et qui est aussi roman­cier, ne pou­vait man­quer d’être fas­ciné par cette femme à qui Conan Doyle ren­dit hom­mage et que Charles Dickens cro­qua sous le nom de Mrs Jar­ley dans son roman Le maga­sin d’Antiquités. Il écri­vit d’ailleurs plu­sieurs romans dont elle est l’héroïne, notam­ment Les Masques de cire (édi­tions Ducu­lot, 1993), qui impres­sionna tel­le­ment René Fol­let qu’il pro­posa à Duchâ­teau d’adapter ce livre en bande des­si­née. Ainsi naquit le pro­jet Ter­reur.

Se récla­mant d’Alexandre Dumas dans le petit texte d’introduction qui ouvre le pre­mier tome, Duchâ­teau a cher­ché autant à res­ti­tuer l’atmosphère sor­dide et vio­lente de la Ter­reur qu’à écrire une his­toire d’aventure dans la lignée des Trois Mous­que­taires ou du Comte de Monte-Cristo. Tout en pré­ci­sant bien que le zeste d’imaginaire dont il a assai­sonné les faits avé­rés ne réside nul­le­ment dans les scènes les plus extra­or­di­naires… Les allées et venues noc­turnes, les trac­ta­tions sous le man­teau, les fuites pré­ci­pi­tées, les bai­sers volés entre deux ren­contres aussi brèves qu’inattendues… tout semble se dérou­ler dans un tour­billon per­ma­nent. Les péri­pé­ties vont bon train, et les accal­mies dans l’action per­mettent de mieux s’attarder sur l’extrême beauté de la réa­li­sa­tion graphique.

N’étaient les bulles ou les enca­drés nar­ra­tifs, les cases seraient autant de toiles minia­tures tant le des­sin est abordé de manière pic­tu­rale. Les cou­leurs sont à la fois intenses et sub­tiles, très fine­ment dégra­dées ; chaque touche colo­rée se devine et en même temps se fond dans un tout chro­ma­tique infi­ni­ment doux. Les contours sont pour ainsi dire absents et cela donne un des­sin éton­nant dont le flou sub­til, loin de nuire à l’extrême expres­si­vité des visages, au contraire la sou­ligne, de même que sont mises en valeur la pré­ci­sion ou la grâce des atti­tudes et des gestes. C’est d’ailleurs sur la seule pos­ture des corps que repose la dyna­mique gra­phique : le des­sin est réso­lu­ment épuré de tous ces petits arti­fices par les­quels on sug­gère habi­tuel­le­ment le mou­ve­ment en bande des­si­née — traits paral­lèles ou arcs de cercle concen­triques. L’on a ainsi deux albums qui, par leur mise en case des plus clas­siques, ne sau­raient avoir d’autre nom que “bande des­si­née” mais dont les gra­phismes res­sor­tissent davan­tage à la pein­ture qu’au dessin.

Ce dip­tyque est un chef-d’œuvre visuel, certes, mais la dimen­sion nar­ra­tive n’est pas en reste : André-Paul Duchâ­teau fait lar­ge­ment hon­neur à ses ins­pi­ra­teurs par son art de ména­ger les péri­pé­ties et d’insérer des scènes d’une extrême dureté aux moments les plus stra­té­giques. Ajou­tons enfin que la rigueur his­to­rique mon­trée par les auteurs quant aux décors, aux cos­tumes, et aux évé­ne­ments réels confère à ces albums une dimen­sion didac­tique qui achève de les rendre émi­nem­ment attrac­tifs — et n’oublions pas de signa­ler que cha­cun des albums offre en bonus, à la fin, quelques repro­duc­tions de cro­quis pré­pa­ra­toires réa­li­sés par Fol­let.
Ter­reur est déci­dé­ment une pièce de choix dans cette superbe col­lec­tion qu’est “Signé”.

isa­belle roche

   
 

René Fol­let (des­sin) / André-Paul Duchâ­teau (scé­na­rio), Ter­reur — Le Lom­bard coll. “Signé”,

-  Tome 1, 2002, 52 p. cou­leur — 11,90 €.
-  Tome 2, 2004, 52 p. cou­leur — 11,90 €.

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