Ce diptyque narrant la vie de celle qui deviendra Madame Tussaud est un chef-d’oeuvre visuel… et narratif.
Attention ! chutes de têtes…
1793/1794… période trouble s’il en est : la Terreur sévit en France, et la guillotine ne chôme pas. Marie Grossholz non plus : elle se rend chaque nuit sur les lieux d’exécution et achète des têtes dont elle effectue des moulages de plâtre afin de confectionner plus tard les visages qui iront se jucher sur les corps de cire exposés dans le Cabinet Curtius, créé par son oncle — une attraction qui connaît un grand succès. Mais en ces temps turbulents, la seule représentation d’une personne jugée “traître à la patrie” devient un acte éminemment subversif, et Marie doit se montrer d’une extrême prudence dans ses choix de figurines montrées au public. Le citoyen policier Jabot veille…
Jabot est d’autant plus vigilant qu’il traque un pamphlétaire du nom de Jean Franchemin, qu’il soupçonne de graviter autour de Marie. Il ne croit pas si bien penser. Mais la jeune femme est habile à déjouer sa surveillance. Elle n’en est pas moins entraînée dans une sombre histoire de joyaux dérobés et de complots ourdis dans l’ombre des incessants bouleversements. Marie échoue à la Conciergerie où elle se lie d’amitié avec Joséphine de Beauharnais — ce qui lui vaudra, plus tard, d’être appelée à la cour pour réaliser un moulage du futur Napoléon 1er, alors Premier consul. Après son évasion de la Conciergerie, Marie fuit en Angleterre. Sillonnant l’île avec son musée itinérant de mannequins de cire, réparant quoi qu’il arrive les destructions occasionnées à ses figurines, elle ne cesse de trouver sur sa route ceux qui, dans le premier tome, l’avaient si souvent menacée : son cousin Desmarets, le montreur d’ombres chinoises Philipstahl, l’entêté Jabot… tels de fantomatiques tortionnaires. Mais plane aussi l’ombre de son amour de toujours, Jean Franchemin. Vient enfin le temps de la paix, de l’installation à demeure à Londres du musée de cire qui deviendra… le célébrissime Musée de Madame Tussaud.
Car Terreur ne raconte rien autre que la vie de Madame Tussaud — un nom connu dans le monde entier, associé à un musée de cire londonien dont la notoriété vaut celle de notre musée Grévin. Mais sans doute peu de gens savent-ils que derrière ce nom fameux se cache une jeune Française appelée Marie Grossholz, qui commença de sculpter la cire en pleine terreur révolutionnaire. André-Paul Duchâteau, le scénariste bien connu pour, entre autres, son travail aux côtés de Tibet sur la série Ric Hochet et qui est aussi romancier, ne pouvait manquer d’être fasciné par cette femme à qui Conan Doyle rendit hommage et que Charles Dickens croqua sous le nom de Mrs Jarley dans son roman Le magasin d’Antiquités. Il écrivit d’ailleurs plusieurs romans dont elle est l’héroïne, notamment Les Masques de cire (éditions Duculot, 1993), qui impressionna tellement René Follet qu’il proposa à Duchâteau d’adapter ce livre en bande dessinée. Ainsi naquit le projet Terreur.
Se réclamant d’Alexandre Dumas dans le petit texte d’introduction qui ouvre le premier tome, Duchâteau a cherché autant à restituer l’atmosphère sordide et violente de la Terreur qu’à écrire une histoire d’aventure dans la lignée des Trois Mousquetaires ou du Comte de Monte-Cristo. Tout en précisant bien que le zeste d’imaginaire dont il a assaisonné les faits avérés ne réside nullement dans les scènes les plus extraordinaires… Les allées et venues nocturnes, les tractations sous le manteau, les fuites précipitées, les baisers volés entre deux rencontres aussi brèves qu’inattendues… tout semble se dérouler dans un tourbillon permanent. Les péripéties vont bon train, et les accalmies dans l’action permettent de mieux s’attarder sur l’extrême beauté de la réalisation graphique.
N’étaient les bulles ou les encadrés narratifs, les cases seraient autant de toiles miniatures tant le dessin est abordé de manière picturale. Les couleurs sont à la fois intenses et subtiles, très finement dégradées ; chaque touche colorée se devine et en même temps se fond dans un tout chromatique infiniment doux. Les contours sont pour ainsi dire absents et cela donne un dessin étonnant dont le flou subtil, loin de nuire à l’extrême expressivité des visages, au contraire la souligne, de même que sont mises en valeur la précision ou la grâce des attitudes et des gestes. C’est d’ailleurs sur la seule posture des corps que repose la dynamique graphique : le dessin est résolument épuré de tous ces petits artifices par lesquels on suggère habituellement le mouvement en bande dessinée — traits parallèles ou arcs de cercle concentriques. L’on a ainsi deux albums qui, par leur mise en case des plus classiques, ne sauraient avoir d’autre nom que “bande dessinée” mais dont les graphismes ressortissent davantage à la peinture qu’au dessin.
Ce diptyque est un chef-d’œuvre visuel, certes, mais la dimension narrative n’est pas en reste : André-Paul Duchâteau fait largement honneur à ses inspirateurs par son art de ménager les péripéties et d’insérer des scènes d’une extrême dureté aux moments les plus stratégiques. Ajoutons enfin que la rigueur historique montrée par les auteurs quant aux décors, aux costumes, et aux événements réels confère à ces albums une dimension didactique qui achève de les rendre éminemment attractifs — et n’oublions pas de signaler que chacun des albums offre en bonus, à la fin, quelques reproductions de croquis préparatoires réalisés par Follet.
Terreur est décidément une pièce de choix dans cette superbe collection qu’est “Signé”.
isabelle roche
René Follet (dessin) / André-Paul Duchâteau (scénario), Terreur — Le Lombard coll. “Signé”, Tome 1, 2002, 52 p. couleur — 11,90 €. |