Da Cunha – écrivain et photographe et adepte des oeuvres à quatre mains – évoque ici par ses mots comment de vieilles images nous hantent. Découvertes dans l’enfance, elles la « disent » mais innervent tout autant notre présent. Proche de l’ombre, ce récit recèle toute une part de mystère et une sorte de rédemption jusque là absorbée dans l’obscur. Une voix interpelle et interroge le narrateur sur l’origine de telles images quelle qu’en soit la nature : photographies, souvenirs, mémoires de plans de cinéma, fantasmes.
L’auteur se retrouve livré à leur puissance. Il part non en sucette mais en dérive là où par exemple une photographie « prise la nuit dans une ville proche de la forêt » laisse apparaître des « étincelles éclatantes fauchées par le flash » . Perce alors « un hors-champ assez inquiétant ». Il y a là un visage de femme : « Elle me fait face. Je la devine sans la voir distinctement : sa peau est abîmée, mais le fort contraste de cette photographie l’adoucit. » L’auteur y vagabonde, imagine des peurs là où « le vent fait danser des feuilles à la surface de la rue. »
Les mots deviennent des traces d’existence sur le blanc de la page. Ils créent des incartades sentimentales aussi denses que chargées. Le rituel amoureux reste un « rituel d’élévation » dans ce qui devient un film secret des rêves en un mixage de présences troubles et touchantes. Nous traversons bien des miroirs où la chair des images remplace celle des femmes en un jeu de cache-cache. Le temps passé revient mais aussi s’échappe dans des remémoration de films de Godard et Rivette. Ils rappellent eux aussi des présences oubliées aux charmes et à la sensualité qui demeurent.
Les phrases semblent se dissoudre dans la diaphanéité de l’air mais gardent leur charge d’énigme dans un jeu incessant entre ce qui n’est pas ou ce qui n’est plus.
jean-paul gavard-perret
Amaury da Cunha, Basse Lumière, Filigranes, Paris, 2018, 64 p.