Dans la lumière voilée nécessaire à toute exposition de l’oeuvre de Mendieta, les images deviennent un étrange miroir déformant et reformant. Mais plus que le rouge sang, c’est le blanc qu’il faut retenir. Certes, lorsque par exemple les diapositives qui découpent les perfomances passent et repassent en boucle, on retient d’abord le sang. Mais sous cette carapace le rouge premier s’estompe pour laisser place — avec la douleur qui lui est concomitante — à une blancheur rayonnant de silence. Et soudain l’avenir brûle d’une seule nuit blanche et immobile.
Dans « Glass on body », Ana Mendieta — collée à la vitre où son visage s’écrase comme si l’identité première et recherchée ne pouvait rester que lettre morte — retourne, convulse le corps pour une crucifixion dont la croix, désormais inutile, ferait redondance. Ce corps, son corps, n’est qu’une rafale, une décharge noire aux fleurs de chair usées (malgré la jeunesse de l’artiste). Caché, caché dans la chair, le regard, pour ce que l’on peut en voir, devient ce qui hurle de manière blanche dans le noir, en ce silence porté à blanc (comme le fer est porté à blanc).
En ces systèmes d’écarts le vif saisit la mort, la reconnaît mais en vain car la mort emporte déjà le vif. Mendieta est là, se tourne, se saigne, macule à sang le blanc, puis s’agenouille, repart, revient, en boucles, arides, hostiles, insoutenables. Mais soudain on sait que c’est là que tout se joue : l’art échappe aux catégories, il parle autrement dans cette perspective espérée par Artaud, surtout le Artaud terminal des Suppôts et Supplications dont Mendieta semble viscéralement si proche.
Il existe chez les deux créateurs une démarche comparable à la fois par la mystique sauvage qui les anime et par leur traversée des langages hors des grammaires et des codes admis et “digérables”..
jean-paul gavard-perret
Ana Mendieta, Le temps et l’histoire me recouvrent, Musée du Jeu de Paume, du 16 octobre 2018 au 27 janvier 2019, Paris.