Sophie Latil, 10 h 10

Inflo­res­cence des visions et des rêves

Que Phi­lippe Favier ait créé une estampe pour ce livre n’est pas un hasard. Le lan­gage de Sophie Latil est dans la droite ligne de l’univers de l’artiste. « Il y a du monde sur la route » que l’héroïne par­court en « une fin de jour­née de trans­hu­mance et sa pro­ces­sion de cara­vanes ». Très vite, la sen­sa­tion vériste se dis­sout : « L’air encore chaud s’engouffre, étouf­fant. Un nuage épais, doux, pro­fond, ombre la route, cor­rige la lumière rasante. » Et si l’asphalte semble cou­per en deux la gar­rigue, cette femme « baisse toutes les vitres » même celles qui n’existent pas jusqu’à « des bulles de soleil éclatent dans ses yeux, troublent son hori­zon désert. Les der­niers rayons du jour l’aveuglent. Le disque énorme et rouge s’enflamme et bas­cule, lézarde le ciel de roses et de mauves, de vio­lets et de bleus» avant que tout ne s’efface.
Sur­git alors l’ivresse des grands fonds sur la croûte ter­restre. Une « unité » fusion­nelle pre­mière n’est plus cou­pée et à peine dépla­cée. Mais la dia­lec­tique du dehors et du dedans prend un nou­veau sens. La femme devient un bois flotté au mieux mais n’a rien d’une épave. Elle n’est pas de ses oiseaux qui battent de l’aile et bleuissent quand arrive la nuit et que sonne une cer­taine heure.

Il y aura bien­tôt peut-être à ses côtés une grosse souche avec l’odeur de ses ais­selles sous la terre chaude de sa couette. Car une telle femme est faite pour l’envol. Mais il n’est pas ques­tion qu’une telle souche prenne racine. Son essor est celle l’alouette qui, au fil des heures, n’attend pas des légion­naires. Et si elle se laisse aimer par­fois une nuit, c’est excep­tion­nel. La vie pour elle ne se limite en rien à la viande et au rata­fia. Elle s’enivre par d’autres voies.
Mais elle n’est pas plus de celles qui entament des lamen­tos de tour­te­relles ou des cris du coeur. Seule l’inflorescence de ses visions et rêves goutte entre ses seins.

jean-paul gavard-perret

Sophie Latil,  10 h 10, Estampe en fron­tis­pice signée de Phi­lippe Favier, Edi­tions Jean-Pierre Huguet, coll. « Car­net des Sept Col­lines », 2018,  48 p. — 50,00 €.

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