Michaux cherche toujours le vertige non par le haut mais en explorant ses bases. Hanté par les profondeurs, il élimine les apparences pour passer aux abîmes par un travail de creusement afin que ce qui semble insignifiant prenne sens. Existe chez lui ce qu’il nomme « l’expérience du rien ». Elle force à une déplacement.
Dans L’inévitable vide Michaux nous parle du glissement du physique au métaphysique d’une humanité délivrée de sa finitude. Coups d’arrêt » propose un effondrement, un paysage de destruction envahi par les machines et débarrassé du sacré. Dans les deux cas, là où la « matière » cède, le vide apparaît. Mais celui-ci n’est pas ce que l’on croit. Il devient une forme de liberté ou de délivrance.
Un tel déplacement de l’expérience du rien oblige à articuler l’ineffable silence. Et l’auteur ramène à des considérations conciliables avec des posture propres à la théologie. Cette expérience englobe et traverse toutes les autres, les fond en une seule : celle de l’absence de fondement, une réponse par l’absence.
Et pour Michaux la perte de l’expérience religieuse dans le monde moderne oblige à revisiter les concepts, de totalité et de transformation à travers une « totale ouverture » qui englobe les sens et achemine l’expérience vers la parole, vers le sens puisque le rapport au monde change par le langage.
À l’expérience religieuse pleine succède donc une « expérience du retrait de l’expérience, l’expérience du rien ». Elle constitue une expérience au sens élargi du terme où l’un naît avec l’autre. Elle est caractérisée par un état de réceptivité proche de la passivité (chère aussi à Blanchot) dans lequel le sujet se place pour qu’elle soit susceptible de le transformer. Mais si Michaux n’attend pas forcément une telle expérience, il la cherche, la provoque néanmoins.
Le rien retire toute certitude et contribue à perpétuer l’état de chute où le sujet possède la possibilité de se maintenir en vie, debout et afin qu’une limite soit franchie.
Celle-ci est la chute elle-même. Elle structure « de » l’expérience pour éveiller au mystère. Le sujet y plonge même s’il est effrayé car elle coupe le sujet de toute organisation rationnelle du savoir. L’expérience du rien est donc un mouvement qui dessine une poétique qui, de fait, commande toute expérience et attente de l’autre en portant ailleurs la bataille de la vie à la recherche du « petit peu que je veux ».
Mais ce peu n’est pas un rien : il est un construit d’inextricables contradictions, d’insurmontables incertitudes.
jean-paul gavard-perret
Henri Michaux, Coups d’arrêt suivi de L’inévitable vide, Editions Une, Nice, 2018, 40 p. — 19,00 €.