Henri Michaux, Coups d’arrêt suivi de L’inévitable vide

Lexpé­rience du rien

Michaux cherche tou­jours le ver­tige non par le haut mais en explo­rant ses bases. Hanté par les pro­fon­deurs, il éli­mine les appa­rences pour pas­ser aux abîmes par un tra­vail de creu­se­ment afin que ce qui semble insi­gni­fiant prenne sens. Existe chez lui ce qu’il nomme « l’expérience du rien ». Elle force à une dépla­ce­ment.
Dans  L’inévitable vide  Michaux nous parle du glis­se­ment du phy­sique au méta­phy­sique d’une huma­nité déli­vrée de sa fini­tude. Coups d’arrêt » pro­pose un effon­dre­ment, un pay­sage de des­truc­tion envahi par les machines et débar­rassé du sacré. Dans les deux cas, là où la « matière » cède, le vide appa­raît. Mais celui-ci n’est pas ce que l’on croit. Il devient une forme de liberté ou de délivrance.

Un tel dépla­ce­ment de l’expérience du rien oblige à arti­cu­ler l’ineffable silence. Et l’auteur ramène à des consi­dé­ra­tions conci­liables avec des pos­ture propres à la théo­lo­gie. Cette expé­rience englobe et tra­verse toutes les autres, les fond en une seule : celle de l’absence de fon­de­ment, une réponse par l’absence.
Et pour Michaux la perte de l’expérience reli­gieuse dans le monde moderne oblige à revi­si­ter les concepts, de tota­lité et de trans­for­ma­tion à tra­vers une « totale ouver­ture » qui englobe les sens et ache­mine l’expérience vers la parole, vers le sens puisque le rap­port au monde change par le langage.

À l’expérience reli­gieuse pleine suc­cède donc une « expé­rience du retrait de l’expérience, l’expérience du rien ». Elle consti­tue une expé­rience au sens élargi du terme où l’un naît avec l’autre. Elle est carac­té­ri­sée par un état de récep­ti­vité proche de la pas­si­vité (chère aussi à Blan­chot) dans lequel le sujet se place pour qu’elle soit sus­cep­tible de le trans­for­mer. Mais si Michaux n’attend pas for­cé­ment une telle  expé­rience, il la cherche, la pro­voque néan­moins.
Le rien retire toute cer­ti­tude et contri­bue à per­pé­tuer l’état de chute où le sujet pos­sède la pos­si­bi­lité de se main­te­nir en vie, debout et afin qu’une limite soit franchie.

Celle-ci est la chute elle-même. Elle struc­ture « de » l’expérience pour éveiller au mys­tère. Le sujet y plonge même s’il est effrayé car elle coupe le sujet de toute orga­ni­sa­tion ration­nelle du savoir. L’expérience du rien est donc un mou­ve­ment qui des­sine une poé­tique qui, de fait, com­mande toute expé­rience et attente de l’autre en por­tant ailleurs la bataille de la vie à la recherche du « petit peu que je veux ».
Mais ce peu n’est pas un rien : il est un construit d’inextricables contra­dic­tions, d’insurmontables incertitudes.

jean-paul gavard-perret

Henri Michaux,  Coups d’arrêt suivi de L’inévitable vide, Edi­tions Une, Nice, 2018, 40 p. — 19,00 €.

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