Emmanuel Carrère, Edouard Limonov. Journal d’un raté

A lire avec du recul, et de l’espérance

Edouard Limo­nov est le héros épo­nyme du roman d’Emmanuel Car­rère, prix Renau­dot 2011. Qui est cet honmme éclec­tique et mar­gi­nal, dis­si­dent russe sous Bre­j­nev, major­dome d’un mil­lion­naire à New-York, et can­di­dat à l’élection pré­si­den­tielle russe en 2012 pour ren­ver­ser Pou­tine ?
Jour­nal d’un raté, paru en 1982, per­met d’y répondre, et de mettre en lumière la vie d’un homme en marge du capi­ta­lisme, bouillon­nant de haine et de frus­tra­tion. Emma­nuel Car­rère a replacé cette oeuvre au coeur de l’actualité lit­té­raire, au moment où le véri­table Limo­nov s’organise en Rus­sie pour ten­ter de mettre en pra­tique ce qu’il décrit dans son roman : le ren­ver­se­ment d’une société moderne.

Cet ouvrage n’a de sens que par la concep­tion com­plète de son auteur : Edouard Limo­nov est liberté. Il est bisexuel, impul­sif, liber­taire, ins­tinc­tif, indé­pen­dant et émi­gré par­tout, même en Rus­sie où il était dis­si­dent et se pré­sente aux élec­tions mal­gré les pres­sions du régime.
Edouard Limo­nov est tout sauf un homme, il est l’Homme à son abou­tis­se­ment, il est l’Homme sans tabou, libre de tout et dépen­dant de rien d’autre que l’eau et la nour­ri­ture. Et le sexe parce que nous sommes des ani­maux, et l’alcool et la drogue parce qu’on ne sait pas pour­quoi on est là ni où on va, et que le poids des mys­tères est sou­vent trop lourd. Le tout Limo­nov est pro­di­gieu­se­ment unique.
Le Limo­nov sim­ple­ment alcoo­lique et impul­sif n’est qu’un poi­vrot de plus, le Limo­nov liber­taire et écri­vain n’est qu’un indi­vidu qui se cherche, et qui cherche l’Homme dans le monde. Mais le Limo­nov alcoo­lique, impul­sif, liber­taire et écri­vain cherche l’Homme dans le monde, et s’énerve parce qu’il faut s’agiter pour que les choses changent, et boit parce que rien ne bouge, et parce que comme le disait Socrate “la seule chose que je sais c’est que je ne sais rien.

L’homme de quarante-deux ans qui écrit Jour­nal d’un raté refuse tout de l’Homme. Il dénigre la réus­site finan­cière et maté­rielle : “faites-moi gagner un mil­lion du jour au len­de­main : avec ce fric je me pro­cu­re­rai des armes et sus­ci­te­rai un sou­lè­ve­ment dans n’importe quel pays. Ache­ter des châ­teaux ou des îles, accu­mu­ler les bibe­lots, chan­ger de trou pour un autre plus jeune… Non, pas de ça, je ne suis pas une marion­nette entre vos mains.
Mais il refuse éga­le­ment la fata­lité, c’est-à-dire la déca­dence avant la mort : “Des vieux au soleil cou­chant, ceux de l’immeuble d’en face, qui se chauffent le dos dans leur fau­teuil. […] Non, pitié ! Plu­tôt res­ter un loup soli­taire qui aper­çoit dis­tinc­te­ment devant lui la chaise élec­trique.
Jour­nal d’un raté et son auteur se battent pour repré­sen­ter un homme indé­pen­dant, mar­gi­nal et dis­tinct des ges­ti­cu­la­teurs, en d’autres termes de nous, citoyens occi­den­taux, sujets abou­tis du capi­ta­lisme et de la société de consom­ma­tion. Si l’on se sent à part, mar­gi­nal, et qu’on a envie de crier : “Massacrez-les ! Puisque c’est ça, la vie ! Massacrez-les tous ! Qui n’est pas avec nous est contre nous !”, c’est que l’on est un raté.

Soyons tous des ratés” semble dire Limo­nov dans l’un de ses plus beaux ouvrages. Ce roman sorti en 1982 revient au goût du jour. A lire avec du recul, et de l’espérance.

b. rosen­berg

   
 

Emma­nuel Car­rère, Edouard Limo­nov. Jour­nal d’un raté, Albin Michel, réedi­tion sep­tembre 2011, 279 p. — 19,00 €

 
     

 

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies, Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>