Les cahiers de l’Herne ont toujours eu le mérite de porter l’accent sur des auteurs sinon marginaux du moins peu mis en évidence par les clercs au premier plan et qui donnent le ton aux modes littéraires. A travers ce cahier, les éditions prouvent que le polar est un genre majeur. S’y passent des choses intéressantes sous couvert de littérature « populaire ».
Or, le « pulp » donne à la littérature un contrechamp sur nos sociétés. Et un de ses auteurs phares, John le Carré, est d’ailleurs salué par beaucoup d’écrivains traditionnels comme un des leurs. D’autant que ses romans n’ont rien de binaire. La sous-catégorie « roman d’espionnage » permet d’explorer des zones troubles. Celles de la psychologie qui sort du noir ou blanc des idéologies.
L’œuvre de l’auteur ne se réduit pas à L’espion qui venait du froid et à la seule définition de « romancier de la guerre froide ». Pour preuve, celle-ci n’a pas laissé l’auteur orphelin du monde grâce auquel il avait connu la gloire. Celle-ci a perduré par l’exploration d’un territoire bien plus ample. En 24 romans dont le dernier excellent L’héritage des espions (Seuil, 2018), l’auteur double l’investigation historique par une exploration de l’ (ou d’un) intime.
Et John Le Carré continue à tirer des ficelles dans l’ombre à laquelle ses mémoires offrent un autre angle. L’auteur à lui seul est une institution qui plane sur le roman d’espionnage sans s’y limiter. Il a écrit une pièce de théâtre, des contes, nouvelles, préfaces, articles journalistiques, tribunes, billets d’humeur, discours.
Ce “Cahier” montre l’ampleur d’une œuvre tout en en offrant une synthèse grâce à des connaisseurs et érudits des « fronts criminels » d’une telle littérature. Le lecteur se trouve encore plus en empathie avec un auteur souvent réduit à une seule posture. Il sera ainsi admiré - ou éventuellement peu apprécié – pour des raisons plus solides.
Dans tous les cas l’ensemble prouve combien la provocation reste toujours élégante, sans esbroufe et parfois aussi ultra sophistiquée que parfaitement lisible.
jean-paul gavard-perret
John le Carré, Cahier John le Carré, dirigé par Isabelle Perrin, Editions de l’Herne, Paris, 2018, 280 p. — 33,00 €.