Pas forcément en paix. Mais allez !
Georges Guillain est un anxieux qui ne se fait pas confiance comme s’il ne croyait pas assez à sa vocation poétique. Pour preuve la fin de Parmi tout ce qui renverse. L’auteur éprouve le besoin d’expliquer la genèse de ses textes. En oubliant que ce qui renverse n’a pas forcément besoin d’explications : un livre n’est achevé que par ses lectures et qu’importe si l’auteur (qui comme « dieu parfois se repose ») rira des « images » que le lecteur trouvera non dans les actualités à la télévision mais dans les feux d’ogre qu’il propose dans les plaines de l’Oise ou dans un des châteaux de D.A.F. de Sade, le Divin Marquis.
A coup de vignettes, l’auteur crée ses propres interprétations entre la beauté de l’art occidental et les cruautés qui ont été accomplies dans de tels lieux. Un bouquet pour les morts le souligne plus expressément. Mais il existe dans l’écriture de Guillain de multiples dynamiques subtiles entre la sensation et l’acquis, l’émotion et ce qui la filtre. La pensée reste toujours plus à hauteur de ciel que de plage et demeure attentive à ce qui la renverse. Ce qui ne l’empêche pas de glisser subrepticement à l’intérieur de soi comme dans le monde.
Les explications du poète sont d’ailleurs moins superfétatoires qu’il n’y paraît puisque, après tout, nous restons au bord de l’inexplicable. Il s’envole loin devant sans que rien ne l’épuise. Néanmoins, le poème — comme l’aimée qu’évoque l’auteur — crée l’amarrage. Et son heure. Celle de la tempête ou celle du calme. Car certains cherchent leur perte, d’autres une assomption. L’auteur ne se fait guère d’illusion sur le choix du plus grand nombre mais il croit encore que peuvent se remonter les mauvaises pentes.
Les tangages sont souvent imprévisibles. Il en va de même pour les rafales et roulis. Mais c’est le jeu de la vie et lorsque arrive le moment de n’avoir plus aucun âge, il est temps de retrouver une chambre cocon et pourtant sans parois où l’amour s’allonge. Cela ne remplace pas le monde et sa cruauté. Mais l’échange rien qu’échange, sans livre, sans rien que la paresse, garde son mot à dire. Ou le cri de volupté qui remplace celui des horreurs passées et que parfois personne n’a voulu entendre, oreilles et yeux fermés.
Dans son cheminement vagabond, Guillain inscrit une poésie rare. Bien des ombres s’y renversent et il faut croire au grand Sud afin que la vie apaisée soit possible. C’est un exercice aussi individuel que collectif. Il y faut même des guides qui seront à choisir chez les artistes plus que chez les politiques. Tout cela tient sans doute du vœu pieux. Mais l’espérance n’est jamais arbitraire. Et la poésie reste l’appel au désir de résister. Comme celle par qui le scandale de la vie arrive et à laquelle il faut se livrer, sans bordure et sans fin et dont le cri couvre tous les bruits.
Bref, Guillain reste l’alchimiste d’un amour Mélusine. D’où le message implicite : frères et sœurs humains, allez. Pas forcément en paix. Mais allez !
jean-paul gavard-perret
Georges Guillain,
– Parmi tout ce qui renverse, Le Castor Astral, coll. « Les passeurs d’Inuits », 144 p. — 13,00 €
– Un bouquet pour les morts, Editions LD, 2018, 60 p. — 12,00 €.