Paule Du Bouchet, Debout sur le ciel

Echos

Entre essai et bio­gra­phie, Debout sur le ciel dresse la figure d’un père. Pas n’importe lequel : le poète André du Bou­chet. Se retrouve chez sa fille le même goût pour des mondes élé­men­taires, les cou­leurs des pay­sages arides et secoués par le vent. Mais tout cela n’a pas été donné immé­dia­te­ment à l’auteure. Quand elle a six ans, sa mère a décidé de quit­ter son père pour un autre poète moins secret et plus clai­ron­nant : elle aban­donne mari et fille pour René Char.
Pas­sion­née de musique, pia­niste, l’auteure a ensei­gné la phi­lo­so­phie avant de s’orienter vers l’édition et la lit­té­ra­ture de jeu­nesse. Elle est d’ailleurs auteur de plu­sieurs ouvrages pour la jeu­nesse et a évo­qué aussi son trau­ma­tisme pre­mier. Dans un livre pré­cé­dent, elle a livré de manière vis­cé­rale l’abandon modu­lée de syn­copes sup­pliantes. La plaie s’est refer­mée mais l’auteure est res­tée mar­quée par une han­tise de la perte qui laisse « le passé fra­gile, le pré­sent menacé, l’avenir inconsistant ».

Paule Du Bou­chet a grandi dans la peur de l’ogre Char(nel) aux « mains énormes, agi­tées par­fois d’incompréhensibles mou­ve­ments, des mains qui semblent le pré­cé­der, tailler un che­min à l’homme de colère » et dont le pré­nom écor­chait les oreilles. Mais la mère n’en avait cure, fas­ci­née par l’homme et son patro­nyme : « Ce nom a quelque chose de déchi­rant de vio­lence et se ter­mine avec un tel coup sourd. »
Face à une exis­tence pla­cée sous le signe de la dis­pa­ri­tion, Paule Du Bou­chet offre dans ce nou­veau livre une suc­ces­sion d’apparitions, d’éclairs. Au nom du père des sou­ve­nirs en rem­placent d’autres. Exit la mère à qui elle n’eut jamais accès – « pas même un sem­blant de voie vers l’être mys­té­rieux qu’elle fut ». Néan­moins, l’auteure rem­place cet amour blessé par celui du père et la résis­tance qu’il offrit face à celle d’un Char pré­tendu héros.

L’auteure, comme son père, avance ici dans la langue sobre mais qui se prête à une forme d’éloquence. Elé­gance n’est d’ailleurs pas le bon mot. Il s’agit de cap­ter la rumeur des mots dans la rigueur du vide, dans le mutisme des glaces. La créa­trice épure le moindre mais, à l’inverse de son père, en s’éloignant du poème. Elle y sub­sti­tue une prose où se per­çoit le bruit des orages mais aussi la musique de Bach, Haydn et Bee­tho­ven. Tout est ramené néan­moins au plus simple, au plus immé­diat. Et qui per­met de répondre en écho à ce que sa mère écri­vit avant sa mort : « Ai-je vrai­ment vécu ce que j’ai vécu ? ».
Le por­trait du père est aussi un auto­por­trait : Debout sur le ciel n’est pas un livre « sur » André du Bou­chet, mais plu­tôt une dérive dans un lan­gage empreint de musique plus que de savoir. Pas éton­nant d’ailleurs que l’auteur ait choisi d’abord « le plus abs­trait des arts » selon Scho­pen­hauer. Ce livre, par ses tona­li­tés, se situe au cœur de la lumière qu’il réver­bère à tra­vers la voûte sonore des mots et leur épreuve.

L’auteure pousse à l’extrémité le temps de la réflexion. Contre la nos­tal­gie et son chaos qui fit d’elle l’enfant sau­vage dénuée d’un amour essen­tiel. Il est ici rem­placé ici par celui du poète. Sans doute était-il plus enra­ciné dans un monde moins gras­seyant que celui de Char. Son domaine n’était ni dans le ciel ni dans la terre : à l’horizon. Un hori­zon qui fit aussi la dou­leur d’une enfant : cha­cun sait qu’une telle ligne recule à mesure qu’on avance vers elle.
Mais ici Paule Du Bou­chet s’en approche parmi ce que son père écri­vait : le vent, le froid, le vide, la cha­leur. Mais quoi de plus com­pact que la durée elle-même ? Elle a pour­tant des limites. L’une est bien sûr évi­dente. Mais avant elle, il en est d’autres plus ras­su­rantes. Sur­tout lorsque les morts per­mettent ce qu’espérait Du Bou­chet lui-même : « Mots puisque vous êtes par­lez ».

L’auteure arrive enfin à dire, à par­ler un che­mi­ne­ment qui devient ouver­ture, réver­bé­ra­tion, inci­dence de jour. Un seuil est fran­chi pour une émer­gence, un deve­nir entre la ten­sion de la poé­sie du père et la lit­té­ra­lité du réel, là où deux souffles se mêlent dans « L’Air. Lairves. Feuillage humain remué » disait le père. Sans doute un peu trop mal pour une petite fille. Il faut du temps pour faire d’un tel air une musique afin que le silence se casse dans le fron­tal et la plé­ni­tude de la vie.
Même si, par­fois, la vie c’est aussi le silence.

jean-paul gavard-perret

Paule Du Bou­chet, Debout sur le ciel, Gal­li­mard, coll. Blanche, Paris, 2018.

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