Emmanuel de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène

Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de la toute-puissance, je serais demeuré un pro­blème pour bien des gens ; aujourd’hui, grâce au mal­heur, chaque heure me dépouille de ma peau de tyran. Napoléon

« En pas­sant, il regarda tris­te­ment le ruis­seau où était tombé son livre ; c’était celui de tous qu’il affec­tion­nait le plus, Le Mémo­rial de Sainte-Hélène. » Nos lec­teurs auront reconnu l’épisode où, dans Le Rouge et le Noir, le père Sorel rosse son fils Julien, qui lit au lieu de sur­veiller la scie. Per­sonne n’aura oublié non plus que, plus loin, Sten­dhal joue encore avec son lec­teur lorsque ce der­nier découvre que le por­trait que le jeune Julien cache dans le tiroir de sa table de che­vet n’est pas celui d’une maî­tresse, mais celui… de Napo­léon. C’est dire qu’en 1831 (date de publi­ca­tion du roman de Sten­dhal), le sou­ve­nir de Napo­léon, mort en 1821 (le retour de ses cendres en France se fera en 1840), est par­ti­cu­liè­re­ment vivace, et qu’un ouvrage essen­tiel­le­ment a contri­bué à la puis­sance de cette légende : le fameux Mémo­rial de Sainte-Hélène, publié en 1823 par Emma­nuel de Las Cases, conseiller d’État, qui avait accom­pa­gné Napo­léon dans son exil en 1815, et qui devait le quit­ter seize mois plus tard.
Cet ouvrage allait deve­nir la bible des nos­tal­giques de l’Empire, mais aussi une source de l’historiographie napo­léo­nienne ; cepen­dant, se fon­dant sur ses conver­sa­tions avec l’Empereur, réelles ou sup­po­sées, il appa­rut assez vite que ce récit était par­fois enjo­livé par l’auteur. Seule la confron­ta­tion avec le manus­crit ori­gi­nal, rédigé à Sainte-Hélène presque sous la dic­tée de Napo­léon, pou­vait per­mettre de réta­blir la vérité scien­ti­fique : or les Anglais – peuple per­fide entre tous – l’avaient hon­teu­se­ment confis­qué lors de l’expulsion de Las Cases. Les quatre his­to­riens qui le publient aujourd’hui ont retrouvé le manus­crit à la Bri­tish Library, où il som­meillait inco­gnito depuis deux cents ans, aussi éton­nant que cela paraisse.

L’ouvrage se pré­sente de la manière sui­vante : après une pré­sen­ta­tion com­plète et claire du manus­crit retrouvé, les auteurs donnent une brève notice bio­gra­phique de Las Cases, puis débutent les Mémoires de Napo­léon, ou suite des évé­ne­ments et recueil d’anecdotes et paroles tirées de la propre conver­sa­tion de Napo­léon, par le Comte de Las Cases, avec une pré­face par Las Cases, puis « [s]on jour­nal depuis le 20 juin 1815, Abdi­ca­tion de l’Empereur et son départ de France ». Les Mémoires s’étirent du 20 juin 1815 au 23 novembre 1816.
Les quatre his­to­riens ont aussi eu le soin d’indiquer en quoi l’original dif­fère de la ver­sion impri­mée habi­tuel­le­ment connue du Mémo­rial. Cette aven­ture édi­to­riale apporte un éclai­rage pré­cieux sur ce que l’Empereur a vrai­ment dit, et que Las Cases avait enri­chi, ren­dant par­fois le récit trop beau pour être vrai. Ainsi, la voix de Napo­léon se fait plus proche et plus authentique.

En annexe figure une notice sur l’histoire édi­to­riale du Mémo­rial de Sainte-Hélène, concer­nant aussi les prin­ci­pales tra­duc­tions en langues étran­gères ; suit un index des noms de per­sonnes, qui pré­cise aussi briè­ve­ment la qua­lité de la per­sonne citée, ce qui est tou­jours utile pour se repé­rer dans l’immense geste napo­léo­nienne. Une table des matières mois à mois puis jour à jour per­met, avec les mots-clés don­nés, de se repé­rer faci­le­ment dans l’ouvrage, dont la cou­ver­ture est d’un beau vert Empire, et qui est recou­vert d’une jaquette repre­nant le fameux tableau de William Quiller Orchard­son, « Napo­léon dic­tant ses mémoires à Las Cases à Sainte-Hélène, en 1816 ». Le carac­tère uti­lisé, le papier, le for­mat font aussi de cet ouvrage un vrai plai­sir de lecture.

yann-loic andre

Emma­nuel de Las Cases, Le Mémo­rial de Sainte-Hélène, texte éta­bli et pré­senté par Thierry Lentz, Peter Hicks, Fran­çois Hou­de­cek, Chan­tal Pré­vot, Per­rin, 2018, 830 p. - 42,00 €.

N.B. Le musée natio­nal du châ­teau de la Mal­mai­son, à Rueil-Malmaison, consacre un tout nou­vel espace per­ma­nent aux six der­nières années (1815–1821) de l’Empereur déchu, après sa seconde abdication.

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