Tableau de bord d’une époque, ce Journal est une œuvre d’exception. L’artiste juive Käthe Kollwitz ne cherche pas à redoubler l’œuvre plastique mais à la compléter. Et ce, au nom d’un traumatisme premier : la mort de son fils Peter aux premiers temps de la Grande Guerre dont le nazisme redouble le sacrifice.
L’artiste revient toujours à ce premier seuil où les douleurs se mêlent à la vie au nom de cette blessure mais aussi à celui des premiers révulsions face à l’état de la société. Dès le début de son œuvre, elle peint à seize ans les misères du prolétariat. L’artiste restera une écorchée vive. Son journal en indique le centre, se donne comme recours à la douleur, mais ne l’arrete pas pour autant.
Dès l’arrivée en 1933 du Parti National Socialiste, sa vie se complique. Son existence et son oeuvre sont menacées. Elle est interdite d’exposer en 1935 et fait face à des menaces de déportation par la Gestapo. Son Journal suit sa lutte et son combat contre les nazis mais aussi pour le féminisme. Elle ne se lave jamais les mains face à l’horreur ce qui se passe autour d’elle. Elle tente de faire ouvrir les yeux par son œuvre, son engagement. L’artiste géniale de portraits et statues trouve dans son journal un exutoire. Ses mots biffent, raturent, scellent, portent au cœur.
Elle montre l’Interdit ou l’Impossible. Et annonce par avance la phrase de Derrida dans Schibboleth : “Comment dater autre chose que cela même qui jamais ne se répète ?”
jean-paul gavard-perret
Käthe Kollwitz, Journal, 1908–1943, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2018, 310 p. — 25,00 €.