Le projet Inondations (tirés du projet Fluire) est né lorsque l’artiste italien a aménagé son atelier dans les anciennes fonderies Kugler de Genève. Celui qui a multiplié les expériences en architecture, théâtre et multimédia, au cours de ses promenades près du lieu à la Jonction (nom de l’avenue) entre l’Arve et le Rhône a contemplé le métissage du bleu du fleuve par le gris de la rivière française. Il reste hypnotisé par de tels mixages et écoulements qu’il filme et photographie afin ensuite de les transcrire sur la toile, sur le papier.
De l’observation de ce mélange à la réalisation d’un univers de signes multimédias, l’archive passe par le corps du créateur. Celui-ci met à nu le mouvement de flux continu par d’autres flux en différents champs d’expression d’où jaillit une « sémantique du liquide » créatrice d’une nouvelle écriture-matière.
L’oeuvre est donc productrice par excellence de paradoxes. Elle ne refuse pas – ce qui serait trop sommaire mais hélas ! trop souvent exploité par des artistes à l’imaginaire exsangue – le « tableau ». Elle le remet en travail et en fable inconnue. Le dépôt de la substance imageante lié à ceux des fleuves se trouve déplacé du côté de l’effluve, du souffle, de sa structure sous-jacente.
Le lieu de la peinture instruit donc autant un retrait qu’une présence. Il recrée le paradoxe dans la toile même d’un ici et d’un ailleurs, auquel l’article insuffle du temps mais aussi en le retenant. An temps pulsé des eaux répond le temps non pulsé de l’art en sa fixité.
Dès lors, le temps et l’espace sont de facto manipulés, démultipliés. Ce sont des compositions d’ « anachronismes » (puisque l’eau ne s’arrête jamais) qui font de l’un comme de l’autre des contemporains éloignés, capables de reconnaître l’extrême vieillesse du présent et la suprême jeunesse du passé. L’oeuvre reste un dépôt moins d’alluvions que de hantises.
Que lui demander de plus ?
jean-paul gavard-perret
Gianliugi Maria Masucci, Inondations, Galerie Analix Forever, Genève, février 2018.