Michel Foucault, La pensée du dehors

L’homme et l’hommage

En juin 1966, dans le numéro spé­cial de « Cri­tique » consa­cré à Blan­chot, Fou­cault ouvre le bal des lau­da­teurs. Cet hom­mage pou­vait a priori être sur­pre­nant. Dif­fi­cile d’imaginer de manière natu­relle la proxi­mité des deux créa­teurs. Ils se connais­saient mais leurs expé­riences du lan­gage et de la pen­sée étaient bien dif­fé­rentes. D’un côté  chez Fou­cault un cer­tain « plein », un goût pour la culture en ébul­li­tion voire par­fois mous­sante. Et à l’inverse chez Blan­chot : le peu, l’ascèse, le rigo­risme, à mesure que l’œuvre avance et ce, dans sa par­faite logique.
Néan­moins, l’auteur de L’Histoire de la folie a com­pris ce qu’il y avait à tirer d’une pen­sée sus­cep­tible de com­plé­ter sa propre archéo­lo­gie du savoir. Mau­rice Blan­chot est celui qui ouvre sur la béance du sujet et une dis­pa­ri­tion non seule­ment des humi­liés dans les trous de la société mais des errants humains au sein d’eux-mêmes. Blan­chot comme Beckett vont « ensei­gner » à Fou­cault com­ment l’effacement du « qui je suis » et du « si je suis » crée l’apparition du lan­gage dans le moi perdu. Blan­chot le théo­rise, Beckett le scé­na­rise. Et Fou­cault écrit : « Voilà que nous nous trou­vons devant une béance qui long­temps nous est demeu­rée invi­sible : l’être du lan­gage n’apparaît pour lui-même que dans la dis­pa­ri­tion du sujet ».

Dans son essai, le phi­lo­sophe montre com­ment Blan­chot est à l’origine d’une expé­rience des limites qui dépassent l’existence pour atteindre l’essence de l’être en « une pen­sée qui se tient hors de toute sub­jec­ti­vité pour en faire sur­gir comme de l’extérieur les limites, en énon­cer la fin, en faire scin­tiller la dis­per­sion et n’en recueillir que l’invincible absence ».Une telle approche crée l’extériorité au gai savoir de Fou­cault, la forme de sa néga­ti­vité. D’où sa for­mule « pen­sée de dehors » pour signi­fier le sens de la quête de Blan­chot.
Il est dif­fi­cile d’affirmer si Fou­cault a réel­le­ment saisi tout les enjeux de la sub­jec­ti­vité du moi absent que Blan­chot évoque dans « celui qui ne m’accompagnait pas ». Il devien­dra chez Beckett le chef de file d’une une « com­pa­gnie » de com­pa­gnons qui fini­ront par perdre non seule­ment leur iden­tité mais leur nomination.

Passer comme le fait Fou­cault de l’archéologie du sujet au sujet lui-même néces­si­tait d’envisager la plon­gée en cette zone de non droit de l’être ou de son man’s land. Le phi­lo­sophe n’en fait pas sa tasse de thé mais il garde le mérite de recon­naître à Blan­chot cet apport qui trans­cende la pen­sée des Kier­ke­gaard et des Nietzsche. Grâce à l’auteur du Pas au-delà, l’impersonnel est la per­sonne du lan­gage qui échappe à l’emprise du « je » objec­ti­ve­ment neu­tra­lisé.
Il n’est pas sûr que le « Qui parle  ?» que Fou­cault « ima­gine » chez Blan­chot soit le « bon ». Le phi­lo­sophe, pri­son­nier de son cor­pus clas­sique, rai­sonne en notion de « Per­sona » (pour par­ler comme Berg­man) qui n’est pas celui de l’auteur de La lit­té­ra­ture et le mal. Ce der­nier à par­tir du début des années 50 est bien loin des termes reli­gieux, juri­diques, poli­tiques qui auto­risent ou inter­disent à l’être de se trou­ver élevé ou non au rang de sujet de droit uni­ver­sel. La dis­po­si­tion d’énonciation chez Blan­chot est d’un ordre à la fois plus onto­lo­gique, épistémologique.

La tête bien faite de Fou­cault n’était pas inté­res­sée par un sujet fondé ni sur la per­sonne, ni même son imago. Le cadre vide des héros de Blan­chot et de Beckett fai­sait cou­rir un risque à la pen­sée du phi­lo­sophe de l’histoire ou un  “pas” qu’il ne pou­vait fran­chir. Il trouva néan­moins là une extra­po­la­tion poé­tique. Opé­ra­tion­nelle certes, mais qu’il fal­lait tenir éloi­gné du sys­tème qu’il mon­tait.
Il est des hom­mages sin­cères qui peuvent res­sem­bler mal­gré tout à des fins de non-recevoir.

jean-paul gavard-perret 

Michel Fou­cault, La pen­sée du dehors, Edi­tions Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2018, 64 p. — 13,00 €.

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