Le procès sous X de Piotr Pavlenski & d’Oksana Shalygina (« L’incendie de la Bastille »)

L’incendie de la Bastille 

Adepte de l’actionnisme russe, Piotr Pavlenski s’est fait connaître pour ses performances autant symboliques que radicales. En 2012, il se coud les lèvres en signe de soutien des Pussy Riots poursuivies pour haine religieuse. La même année, il s’enroule dans du barbelé afin de protester contre les lois de répression et de censure mises en place par l’État russe. Puis il se cloue les testicules sur la place rouge de Moscou.
Plus tard, nu sur le mur de l’hôpital psychiatrique Serbsky de Moscou, il se coupe un bout d’oreille. « Le couteau sépare le lobe de l’oreille. Le mur en béton de l’institut sépare la société saine d’esprit des malades mentaux », écrit-il dans son manifeste où il dénonce l’internement psychiatrique des dissidents russes. En novembre 2015, il incendie la porte principale de la Loubianka – siège historique des services de sécurité russes. Ce qui lui a valu de passer sept mois en détention préventive.

Menacé de dix ans de camp dans son pays sur de fausses accusations, il a obtenu l’asile politique en France auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Il poursuit sa lutte en France afin de s’attaquer à la réduction de tout individu en « veau » par les pouvoirs politiques et financiers. En 2017, il  organise un happening parisien : il provoque un incendie contrôlé devant la succursale de la Banque de France de la Bastille à 4 heures du matin.
Il convoque au dernier moment des journalistes en leur distribuant un communiqué : « La Bastille a été détruite par le peuple révolté ; le peuple l’a détruite comme symbole du despotisme et du pouvoir. Sur ce même lieu, un nouveau foyer d’esclavage a été bâti. (…) La Banque de France a pris la place de la Bastille, les banquiers ont pris la place des monarques. »

Arrêté avec sa compagne, Oksana Shalygina, les deux doivent passer en jugement prochainement. L’artiste accepte un tel « deal » : ce dernier fait même partie de sa stratégie artistique. Mais les instances judiciaires ont décidé que le jugement se fera à huis clos. Et c’est bien là où le bât blesse. Il n’existe aucune raison valable à une telle option. Deborah de Robertis, elle même actionniste et victime de plusieurs procès pour exhibition sexuelle (dans les murs du Louvre entre autres), a décidé d’alerter le monde artistique et intellectuel sur une telle décision que rien ne justifie. Elle porte son soutien aux deux créateurs en rappelant qu’il ne faut pas confondre une action de pure dégradation et un geste de création porteur d’un message politique.

Piotr Pavlenski, Oksana  Shalygina comme Deborah de Robertis paient de leur personne pour des actions qui revendiquent la puissance de vie. Et dans le cas de « l’incendie de la Bastille » : l’objectif n’était évidemment pas de mettre le feu au bâtiment mais de réveiller les consciences. Les deux actionnistes peuvent être néanmoins condamnés jusqu’à dix ans de prison. Le huis clos dans un tel cas non seulement peut être estimé d’une légalité douteuse mais caresse un but implicite : disqualifier le geste en évitant la diffusion à l’extérieur du tribunal de ce que les artistes ont à dire dans un pays où pourtant la liberté d’expression est sans cesse réaffirmée comme la valeur suprême du pays des droits de l’homme.
Piotr Pavlenski a voulu prouver que, face à la peur de vivre inoculée par l’idéologie ambiante, couve toujours le désir d’une existence plus « incandescente ». Mais l’huis clos se veut le moyen de censurer la parole et l’argumentation de l’artiste.

Comme l’écrit Deborah De Robertis, « Par le choix d’une méthode d’exception, la justice se dérobe afin d’esquiver le débat politique clairement posé par l’artiste.» L’actionniste ne réclame en rien une exception envers un tel geste, elle revendique simplement la règle. Il s’agit de la soutenir pour retrouver le droit d’entendre ce que Piotr a à dire.
Et Deborah de Robertis  d’ajouter : « J’invite par conséquent critiques d’arts, historiens, philosophes, artistes à se manifester pour faire valoir un droit premier face à une juridiction qui se veut péremptoire en cultivant un mutisme (voire un aveuglement) que rien ne justifie. ».
Nous ne pouvons qu’entériner cette invitation. La lutte suit son cours.

jean-paul gavard-perret

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