Georges Perros, Œuvres

« Le taci­turne goût de vivre »

Georges Per­ros n’a jamais eu pour but de construire une oeuvre. Poète et cri­tique au sens plein du terme, il ne cher­cha pour­tant jamais à être publié en volumes pres­ti­gieux. Il reste un homme libre poussé par ses seuls goûts et aspi­ra­tions sans se moquer des modes ou des règles ins­ti­tu­tion­nelles. Il dut plus à des ami­tiés qu’à des ambi­tions de voir publiés ses “papiers col­lés” chez Gal­li­mard. Celui qui aimait à se faire appe­ler “Georges Machin” aimait “une vie ordi­naire (…) qui ne fut rien”. Il sut “ trom­per son monde en don­nant quelques fugi­tives pro­messes”. Il n’empêche qu’a priori — et sans cher­cher à être conser­vée “en boîte d’immortalité” — son oeuvre per­dure.
Celui qui esti­mait que “La lit­té­ra­ture, c’est ce qui ne devrait pas être publié” n’obtient pas le pri­vi­lege suprême d’être publié dans La Pléiade (il y aurait néan­moins plus sa place qu’un d’Ormesson). Mais il rejoint la marche en des­sous en étant publié dans la col­lec­tion Quarto. Ce qui n’est déjà pas si mal. Peu de poètes y ont droit de cité. Et si Per­ros — qui disait ne pas appré­cier ce qu’il écri­vait — laisse der­rière lui une oeuvre ouverte, elle trouve une superbe boîte dans cette col­lec­tion. C’est un must pour celui qui a su ne pas se prendre pour un poète et qui n’a pas cher­ché une voie royale qui lui per­met­trait de tout dire. Il évita ainsi le risque de ceux qui, la trou­vant, pré­ten­daient qu’ils ne se trom­pe­raient plus. Bref, il a évité ce qui est est arrive à Valéry ”dont les pré­ci­pices se sont chan­gés en trous de souris.”

Tous les “papiers col­lés” et ces suites de notes dépa­reillées offrent une oeuvre hir­sute où l’auteur cultive l’humour en pas­sant du calem­bour au détour­ne­ment d’expressions et en refu­sant toute inféo­da­tion à une idéo­lo­gie esthé­tique ou poli­tique : “Je ne suis ni de droite, ni de gauche. Je suis dans la merde.” L’auteur savait manier les registres de la rhé­to­rique hors de ses gonds pour don­ner aux (mau­vaises) pen­sées un lustre par­ti­cu­lier afin de “don­ner au corps les pres­tiges de l’esprit” sans pour autant entrer dans le registre des poètes éro­tiques.
L’ironie et le dilet­tan­tisme cachent la force d’un esprit qui refusa pour­tant qu’on le prenne au sérieux. Ce fut sa force et sa “limite” (plu­tôt sédui­sante). Il sut tou­jours “décro­cher” pour ne pas prê­ter le flanc à toute injonc­tion qui vou­lut le sta­tu­fier en poète ou phi­lo­sophe “pro­fes­sion­nel”. Il n’a jamais pré­tendu inven­ter sa propre fabrique de poé­sie (“je ne tiens pas du tout à ma petite affaire”). Cela lui sor­tait par les yeux. Il avait mieux à faire : vivre pas exemple — même si ce verbe lui parais­sait trop grand — comme s’il savait que le temps lui était compté. Refu­sant d’être pris pour le mora­liste auquel on vou­lut le résoudre, il demeura avant tout, note après note, un bala­din du monde occidental.

jean-paul gavard-perret

Georges Per­ros, Œuvres, Édi­tion de Thierry Gil­lybœuf, Gal­li­mard, coll. « Quarto », 2017, 1600 p. — 32,00 €.

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