Les limites articulatoires du langage
« Faut-il cesser d’écrire quand on n’a plus qu’une chose à dire ? / Non, si tu peux la dire / Je ne peux pas la dire /Alors tais-toi / Non » et autour de ce « Non » qui refuse de se taire, détournés, nettoyés de leur premier crédit de signification, les mots essorés peuvent alors se commettre et s’impliquer dans un registre particulier et neuf. Les paroles s’écoulent ou se construisent par ce qu’elles ignorent.
Le livre atteint les limites articulatoires du langage dans ses résonances et échos qu’aucune sorte d’image ne pourrait fixer. Il n’est donc pas la matière spéculative de la pensée. Tout ce qui se pense le fait par accident ou presque lapsus. La poésie de Catherine Sagot-Duvaurioux ne se veut plus supposition, ni vision mais une pré-position où le temps de la mémoire affleure sans souci de d’un dieu langage signifiant fier de ses repères. A sa place, les textes construisent une suite de relations et d’ensembles de rapports de topique de la pensée encore en espoir de devenir.
Lire une telle œuvre ne doit plus revenir à vouloir la comprendre mais faire sinon de l’incompréhensibilité du moins du doute une expérience inaugurale de la lisibilité là où écrire devient ce que Novarina appelle « un exercice d’imbécillité » en se retirant de toute autorité théologique ou totalisation d’un logos au profit d’une chose encore vive et palpable qui vient faire basculer l’instant.
Le langage se réforme de fond en comble pour que l’on puisse retrouver des germes d’un sens à venir là où le livre reste celui de “l’inachèvement” cher à Blanchot dans un travail de l’approche où de ce que font les mots dans le meilleur est un « à peine, à peine » (Beckett) mais qui travaille les tréfonds de notre esprit, dans une forme d’oblitération consentie mais qui ne se contente pas de la négation – bien au contraire.
jean-paul gavard-perret
Caroline Sagot-Duvaurioux, ‘J , Editions Unes, Nice, 2017.