Pauline Sauveur : yeux ouverts, poing fermé — entretien avec la créatrice

Pauline Sau­veur — auteure, pho­to­graphe, vidéaste, archi­tecte capable — déve­loppe des pro­jets hybrides d’une puis­sance rare capables d’interroger le quo­ti­dien, l’intime, la rela­tion au corps, à la carte comme au ter­ri­toire. Elle a créé le col­lec­tif public averti avec l’écrivain Laurent Her­rou et a animé pen­dant long­temps un blog génial quoiqu’en som­meil : lecoeurducaramel.blogspot.fr
S’y découvrent pro­po­si­tions et textes majeurs comme par exemple son pro­jet (image et photo) « Deviens ce que tu es », inti­miste et puis­sant, dis­tan­cié et pudique, nar­ra­tion de la ren­contre de l’artiste avec un homme et sa trans­for­ma­tion. Le style est sublime. Pau­line Sau­veur répond à la demande de l’homme car dit-elle « ce sujet m’importe depuis long­temps ». Pau­line Sau­veur prend des pho­tos, jamais de notes. « L’écriture vient après. » car il faut du temps pour mettre au clair cette ques­tion essentielle.

C’est pour elle une occa­sion unique de l’aborder comme elle accepte les risques face aux « femmes qui ose­raient se pla­cer en échan­tillon qui englo­be­raient le mas­cu­lin au nom de quoi je vous le demande alors que moi inver­se­ment je l’ai tel­le­ment alors que nous nous l’avons tota­le­ment inté­rio­risé cette repré­sen­ta­tion géné­rique par l’autre moi­tié la moi­tié qui dicte et confirme inté­gré tel­le­ment inté­gré au point de devoir lut­ter je dois lut­ter pour ouvrir mes yeux pour regar­der mathé­ma­ti­que­ment ce qui est ce qui se passe s’organise par­tout chaque jour ». L’écriture est dense et neuve, ne triche pas, avance, sait ména­ger cette ligne de flot­tai­son ou « le coef­fi­cient éloi­gne­ment / inté­rêt » crée des myo­pies ou rend astig­mate. Tout se mêle et pour­tant il faut ten­ter de voir clair dans ces hia­tus entre les morts etr les dis­pa­rus et le rap­port à soi, aux autres au monde.
Pau­line Sau­veur sait que « La bonne réponse n’existe pas ». Il y a la mort, l’amour. L’une existe, l’autre moins. Elle n’est pas « Pépette » qui dit « Oui viens, mon amour viens, toi que j’aime, que je désire ». Et l’auteure de pré­ci­ser : « ce n’est pas là, le sujet. Non. Le sujet c’est la repré­sen­ta­tion. » ou plu­tôt la réin­ven­tion des limites et des normes sans avoir à choi­sir entre le néga­tion et le néga­tif. Ne pas coin­cer la femme entre deux seuls mots : « pute ou sou­mise ». Ouvrir des pos­sibles jusqu’au mas­cu­lin dans la fémi­nin, cas­ser la fameuse for­mule « au com­men­ce­ment la répé­ti­tion » (Michaux). C’est contre ce constat que l’artiste « radote » — mais c’est faux. Elle pense mal et écrit fort ave une puis­sance impre­nable les yeux ouverts sur le dedans, sur le dehors. Sans croire que les réponse sont don­nées d’emblée au être soi, à l’exister.

 Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le matin tôt, rien, si ce n’est l’incontournable néces­sité de com­men­cer la jour­née. Ou alors un départ en voyage.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
On s’en rap­proche, on s’en rapproche.

A quoi avez-vous renoncé ?
Aux couettes.

D’où venez-vous ?
D’un lieu mélangé entre Cévennes et Fin­lande, par exemple.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un goût immense pour les mai­sons, les coins, les lieux, les endroits, les espaces, pour la forêt, et par contraste, pour les villes.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le cho­co­lat, quotidien.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes et écri­vains ?
Aucune idée.

Com­ment définiriez-vous le lien entre vos dif­fé­rentes approches (texte, images, ins­tal­la­tions) ?
Un même regard avec une même envie avec dif­fé­rents outils.
Je ne sais jamais à l’avance quelle approche sera pré­do­mi­nante pour un pro­jet, de temps en temps il y en a qui ne prennent qu’un seul che­min, mais assez sou­vent les trois se mêlent, se croisent ou se suc­cèdent. Et d’ailleurs on lit autant un texte qu’une image ou un lieu.
Et pour faire plus encore le lien, main­te­nant s’ajoutent par petites touches la vidéo, et le son, l’audio, peut-être en lien avec la lec­ture ? C’est ce que j’ai expé­ri­menté dans ma par­ti­ci­pa­tion à Ce qui reste — Mitä jää (ce qui reste, en finnois)**.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
De façon consciente : la photo d’un GI en train de dor­mir sur un lit de camp à côté d’un tank dans la rue, avec les pas­sants, dont une femme, avec un panier sur la tête, au Viet­nam, dans mon livre d’Histoire (c’est un sou­ve­nir très pré­cis)
Il y avait le dan­ger, l’abandon, la fatigue, la vie quo­ti­dienne, la guerre, l’Histoire faite par les gens, les vrais gens. Toute une his­toire en une image.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Ma pre­mière non-lecture : le refus caté­go­rique de lire Oui-Oui (je venais d’apprendre à lire et on me le pro­po­sait d’office) que je trou­vais abso­lu­ment non-non, et dont même le nom me sem­blait inac­cep­table pour l’enfant de 6 ans que j’étais, déjà per­sua­dée qu’un enfant ne pou­vait pas pas­ser son temps à répondre oui oui aux adultes.
Pre­mière lec­ture mar­quante, « Un jour rêvé pour le poisson-banane » de Salin­ger, qui m’a fait réa­li­ser : on a le droit d’écrire comme ça ?
Et deux phrases qui m’ont mar­quées « La glace à la viande hachée qui coule long du cor­net » (une chan­son de Renaud) et « Si ça conti­nue j’vais décou­per sui­vant les poin­tillés » de Bashung, pour la même constatation.

Quelles musiques écoutez-vous ?
A peu près de tout, avec peut-être une ten­dresse immé­diate pour la pop dépres­sive (Radio­head, Inter­pol…) La musique est vitale en fait.
Heu­reu­se­ment, avoir des amis et des enfants qui aiment la musique aide à décou­vrir pleins de nou­veaux mor­ceaux, de nou­veaux artistes.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Ces temps-ci :
« Steal like an artist » de Aus­tin Kleon
« Les bon­heurs » de Laurent Her­rou
« La belle et la bête » (le jour­nal du film) de Jean Cocteau.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je pleure beau­coup trop faci­le­ment, par exemple der­niè­re­ment pour le docu­men­taire « Mr Gaga » sur la vie du dan­seur cho­ré­graphe Ohad Naharin.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’une. Et j’essaye de lire dans ses yeux.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Trop naïve pour ne pas oser écrire à un auteur si j’ai envie. J’ai com­mencé tôt, à la suite de lec­tures qui m’avaient enthousiasmée.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
New-York, Tokyo, Rome, Venise, Hel­sinki, toutes les grandes villes, les capi­tales (notam­ment celles où je ne suis pas encore allée).

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Proche je ne sais pas, c’est plu­tôt qu’ils me touchent, me bou­le­versent. Il y en a une si longue liste !
Il y a les écri­vains* que j’ai ren­con­tré, que nous avons invi­tés à nos cycles de lec­tures avec le col­lec­tif Public Averti*, fondé avec Laurent Her­rou, en 2015.
En lit­té­ra­ture jeu­nesse j’aime tous les livres d’Anaïs Vau­ge­lade, de Claude Ponti. J’aime beau­coup les BD de Kaisa Leka, et de tant d’autres.
En fait, beau­coup de mes livres aimés sont rem­plis de pho­tos ou de des­sins.
Parmi les artistes, il y a des pho­to­graphes, c’est indé­niable, dont beau­coup de femmes Elina Bro­thé­rus, Anne de Gelas, Scar­let Coten, Wilma Hur­kai­nen, Ulla Joki­salo, Doro­thy Shoes, Halida Bough­riet… Et puis il y a Jo Spence, une pho­to­graphe incroyable. Mais aussi Eric Flo­gny, Arno Rafael Mik­ki­nen, Karel Miler… Il y a Ernest Pignon-Ernest et cha­cun de ses moindres cro­quis, tout.

La danse me touche par­fois de plein fouet. Encore quelque chose qui se passe des mots.
Et enfin, il y a les per­for­meurs, qui dans mon esprit, sont au-dessus de tous. Parce qu’ils sont leur propre matière qu’ils modèlent et qu’ils vous mettent sous le nez, de façon irré­mé­diable, c’est direct, c’est ce qui a le plus de puis­sance, on aime ou pas, mais c’est là. Par exemple Jus­tine et Fré­dé­ric, l’ensemble du tra­vail de Johan le Guil­herm de Cirque ici, Tomasz Szrama (lui aussi il a fait une photo qui m’a mar­quée, où il allume sa ciga­rette avec la flamme qui sort d’un vrai cœur, en chair, qu’il tient contre sa poi­trine) Alexan­dra Guillot. Et Marina Abramovic…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Il y a deux pho­tos de chaises que j’aimerais m’offrir (j’y réflé­chis), réa­li­sées par le pho­to­graphe gra­phiste édi­teur qui a monté les édi­tions Oniva et sinon des livres, du temps, du soleil, des billets de train.

Que défendez-vous ?
Ce que je peux : l’engagement à être là, l’honnêteté intel­lec­tuelle et poli­tique (mais tout est poli­tique, entendons-nous bien), ce qui me semble nécessaire.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je recon­nais que c’est for­mule qui claque, mais les phrases néga­tives qui vous expliquent la vie m’emmerdent.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je pré­fère, c’est un bon préalable !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Vous dites que c’est addic­tif, vous aimez donc tou­jours autant lire vos textes ou ceux des autres en public ? La réponse serait alors : oui !

* Mathieu Simo­net, Yves Char­net, Yan­nick Kujawa, Alexan­dra Birou­zet, Oli­vier Jouan, Pas­cale Fon­te­neau, Cécile Cornu, Phi­lippe Grossi, Fabienne Des­seux, Caro­line Coppé…

** expo­si­tion col­lec­tive sur le site des édi­tions Conspi­ra­tion avec *public averti (oui, l’astérisque fait par­tie du nom).

Liens :

Mon site : https://paulinesauveur.fr
Lien vers la page de *public averti : https://www.facebook.com/publicaverti/?ref=hl
Lien vers Ce qui reste : http://artisconspiration.com/ce-qui-reste/

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 30 novembre 2017.

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