Jérôme Bertin, Célébration

Les éga­rés

Il est des romans qui sont défon­cés comme des vieux lits de cam­pagne. Et c’est ce qui fait leur charme. D’autant que le lit semble de fer tant l’écriture sans fio­ri­ture, âpre, iro­nique grince . Jérôme Ber­tin y pour­suit sa dérive en guise de conso­la­tion, sup­plique, décom­pres­sion, trop-plein, exu­toire. L’auteur semble y avan­cer, comme dans le dor­toir du livre : à tâtons dans le noir, cher­chant une lumière ou à défaut un inter­rup­teur.
La main glisse sur un mur, la vie traîne sur le plan­cher. Sur les murs tou­jours la même pein­ture et entre eux des per­son­nages pas plus relui­sants que leur nar­ra­teur. Mais pas moins. Du moins pour cer­tains. Pour tous «La vraie vie  ici est très bas ». C’est plein d’odeurs, de bruits, de ratages là où par­fois il y plus d’intérêt pour Cabrel que pour Daho, ce qui est déjà en soi une faute de goût.

Dans ce magma les phrases se bous­culent mais Ber­tin a de la bou­teille : il sait gérer avec grâce jusqu’aux hési­ta­tions et aux intem­pé­rances de ses per­son­nages. Mais à tout coup il lève le voile sur le réel : l’air est aussi lourd dedans que dehors. Néan­moins, le lec­teur est à l’aise parmi des fron­deurs qui n’ont rien de Répu­bli­cains. Ils ont d’autres chattes à fouet­ter.
Reste l’impression de fran­chir la même porte que le nar­ra­teur et son pote Karim. Le lec­teur pose sa valise dans une armoire mais pas de place pour mettre un cos­tume de cadre de l’UMP sur un dos­sier juste avant d’aller au réfec­toire, ses bruits, au milieu des jours tristes avec Karim, et les attentes du psy ou de vagues caresses voire des sodo­mies pas­sa­gères. Cer­tains ou cer­taines râlent, d’autres se laissent faire avec sou­plesse — tout est his­toire de carac­tère. Enfin presque.

Bertin ne prend pas la peine de juger car il a mieux à faire, juste de quoi signa­ler là la « couenne raide » d’une infir­mière là, une « soupe de langue tiède » mais pour le plai­sir du texte et celui d’en pour­suivre la lec­ture vivi­fiante. Certes, bien des cui-cui sont cuits sans doute parce que ce sont drôles d’oiseaux. Ils font néan­moins la sève de la vie et d’une fic­tion éche­ve­lée, qui pense mal et qui montre com­bien, pour s’en sor­tir, il ne faut pas se mordre la langue mais la sor­tir. His­toire de tenir encore. Oui tenir, de livre en livre, d’accord et rac­cord et tant que faire se peut.

jean-paul gavard-perret

Jérôme Ber­tin, Célé­bra­tion, édi­tions Van­loo, Aix en Pro­vence, 2017, 88 p. — 12,00 €.
Est publié en même temps chez le même édi­teur et de l’auteur 06 19 34 08 66, coll One­Shot, n° 3, 2017 — 2 ‚00 €.

 

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