Jean-Luc Sarré, Apostumes

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Jean-Luc Sarré n’a plus rien à prou­ver ; il peut donc vaga­bon­der dans ses Apos­tumes et battre la cam­pagne sans souci d’un ordre en son exer­cice moins de « félixité » que de dou­leur mais aussi de flemme et de manque d’intêrêt pour tout dépla­ce­ment – ce qui est agréable pour le lec­teur. Pri­vi­lège de l’âge (un des rares), Sarré laisse faire le temps qui passe sans trop s’intéresser à son futur. D’autant qu’il n’a guère le choix et doit faire avec les vicis­si­tudes de son état de santé pré­caire. Son appa­rente mol­lesse évite toute vin­dicte et vati­ci­na­tion super­fé­ta­toires. Manière de cou­tu­rer une exis­tence qui ne demande rien aux autres et peu à soi-même.
Mar­seille est devenu son port d’attache ou son bocal. Il y trouve son rythme car­cé­ral, ne s’aventurant qu’avec dif­fi­culté de son quar­tier vers le centre ville, les plages et les centres de soin. Rien ne vaut son appar­te­ment. En nou­veau De Maistre, il fait le tour de sa chambre en ayant renoncé à mar­cher comme à culti­ver les poèmes.

Il reste néan­moins tant à faire dans l’espace le plus mince pour peu que l’œil et l’esprit demeurent sen­sibles aux zozios comme à la vie de tous les jours, son ciel, les bruits de balais dans une cour qui n’a rien des miracles. Tout peut deve­nir pré­texte aux rêves et sou­ve­nirs revus désor­mais telles des curio­si­tés exo­tiques. La musique et les livres font le res­tent. Mon­taigne, Blan­chot, Lich­ten­berg, Scu­te­naire, Cio­ran — bref, les spé­cia­liste du frag­men­taire et para­doxaux lurons devant l’éternel. Res­tent l’humour, la reven­di­ca­tion d’une pusil­la­ni­mité par­ti­cu­lière qui rend ce qui fut raté sans le moindre le regret.
Reste à suivre, clopin-clopant, son cours lorsque la mala­die laisse en paix. Ce qui n’est pas le cas de Sarré : « J’ai le sen­ti­ment depuis deux ans d’appartenir à des hôpi­taux et à des centres de réédu­ca­tion qui m’accordent, de temps à autre, de plus ou moins longues per­mis­sions de sor­tie. ». C’est donc dans les temps d’intermittence que l’écriture fait retour. Tant bien que mal.

Certes, la mala­die change ce qui est vu, d’où un mélange de proxi­mité et de dis­tance : « Je suis un autre ainsi paré. Je ne rede­vien­drai moi-même que lorsque les élec­trodes me seront ôtées. » dit l’auteur. C’est tout ce qu’on lui sou­haite. D’autant qu’il reste à tou­jours capable d’alacrité sty­lis­tique pour faire la satire du monde tel qu’il ou tel qu’il devient au sein des cohortes de tou­bibs. Ils font vaquer leur client en un « to be or not to be ». Tout compte fait, c’est bien la ques­tion. La seule.

jean-paul gavard-perret

Jean-Luc Sarré, Apos­tumes, Ed. Le Bruit du temps, 2017, 248 p. — 15,00 €.

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